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23 février 2009 1 23 /02 /février /2009 01:20

20 février 2009
Mathieu Nathanaël Njog
Le Messager

La gestion des autorités administratives et sécuritaires a donné lieu à plusieurs violations flagrantes des droits universels de l’homme.

Le mouvement populaire de revendications sociales du 24 au 29 février 2008 a été dès son entame réprimé de manière sanglante par les forces de sécurité publiques renforcées par des unités d’élites. Elles se sont livrées à des arrestations massives et arbitraires et des exécutions sommaires. Le bilan officiel présenté par le ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation, Marafa Hamidou Yaya, lors d’une conférence de presse donnée le lundi 10 mars 2008, à Yaoundé, parle de 40 morts, parmi lesquels un élément des forces de l’ordre. Aucune précision n’est donnée sur le nombre de blessés : «Il existe de nombreux cas de blessés chez les civils et au sein des forces de maintien de l’ordre », élude-t-il. En revanche, pour l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat) Littoral, dans son bilan des émeutes présenté hier 19 février 2009 à son siège, «le bilan officiel des incidents, déjà lourd, semble toutefois bien en deçà de la réalité», affirme sa coordinatrice Madeleine Afité.

Malgré la difficile vérification de certains incidents et accès à certaines sources, les rapports des différentes organisations composant l’Observatoire national des droits de l’Homme (Ondh) présentes dans les quinze villes recensées sur la trentaine touchées par ces émeutes a permis à l’Acat de dénombrer au moins 139 personnes décédés durant ces événements. Parmi lesquels, seuls 54 noms de victimes ont pu être recensés à ce jour. Un chiffre qui tranche avec celui du gouvernement pour qui « les cas de décès ne sont pas tous imputables à l’action de la force publique. [Mais] de manière spécifique à Douala, beaucoup de morts sont le résultat des rixes entre des bandes de gangsters qui ont infiltré la contestation. Le partage des biens volés à la suite d’actes de pillage a donné lieu à des disputes violentes. »

Torture


Outre les personnes mortes pendant et après ces évènements, l’armée a procédé à des interpellations et arrestations arbitraires, soit individuelles, soit en groupe à travers les rafles. Ce sont ainsi, plusieurs milliers de personnes, majoritairement de jeunes, qui ont été incarcérées : des élèves en uniformes revenant des classes, des jeunes gens allant ou de retour du travail et certains interpellés dans leurs domiciles, souvent par effraction et sans mandat. Les forces de l’ordre ont même contraint certains manifestants à se dévêtir puis à se rouler dans la poussière, de la cendre résultant des feux allumés sur la chaussée, avant d’être embarqués manu militari, ou relâchés après avoir été battus. Ces derniers n’avaient pas la chance d’aller plus loin, puisque de nouveau, ils étaient arrêtés par d’autres patrouilles du fait de leurs déguisements.


Ces présumés émeutiers ont été détenus dans les centres de détention improvisés. Passant des jours et des nuits en plein air dans la cour des unités de gendarmerie, des commissariats de police à l’instar de la légion de gendarmerie de Bonanjo, de l’escadron de gendarmerie de Mboppi, du Génie militaire de Bassa, du Groupe mobile d’intervention (Gmi) n°2 de Douala, de la Division régionale de la police judiciaire du littoral (Drpjl) et de la Base navale militaire de Douala. A l’insu des familles qui les ont cherchés pendant plusieurs jours pour aller les découvrir très souvent devant la barre où des poursuites judiciaires étaient engagées à leur encontre avec pour chefs d’accusation : «Attroupement sur la voie publique, pillage en bande, recel…». Pour l’Acat, près de 3.000 arrestations ont été opérées parmi la population civile, parmi lesquelles près de la moitié était des mineurs. La région du Littoral, s’en tire avec la palme d’or, environ 2 000 personnes traduites devant les juridictions. Pour y parvenir, les officiers de police judiciaire avaient l’obligation de fabriquer des preuves, à plusieurs reprises et en différents lieux.

Le rapport de l’Acat constate que «la justice camerounaise est réputée pour sa lenteur, mais les procédures judiciaires engagées à l’encontre des présumés émeutiers de février 2008 ont été rapidement mises en œuvre au cours d’audiences spéciales qualifiées de « flagrants délits ». Certaines audiences avaient une durée ne dépassant pas cinq minutes, et se succédaient à un rythme déconcertant, violant conséquemment plusieurs dispositions pertinentes du nouveau code de procédure pénale, et mettant à mal les droits de la défense et les principes du débat contradictoire ainsi que de la présomption d’innocence.» On a ainsi observé pendant les procès, l’absence devant le tribunal des plaignants et témoins à charge. La non fiabilité de l’identification des accusés (âge, nom) du fait de l’absence, chez de nombreux prévenus, de papiers d’identité, la non possibilité de présenter des actes de naissance du fait de la rapidité des procédures, la non signature des procès-verbaux d’enquêtes par les accusés, le non établissement des procès-verbaux par les procureurs et le non-respect du droit des prévenus de préparer leur dossier judiciaire. La justice s’est ainsi contentée d’informations orales des prévenus, non sans leur attribuer des âges fictifs, soit par l’enquêteur, soit par le juge, sans la présence d’avocats. Des mineurs ont ainsi été jugés au même titre que des adultes et condamnés pour flagrant délit, alors qu’ils auraient dû être jugés par le juge des mineurs.

Une justice aux ordres


Les jugements ont été expéditifs, au point que les premières peines ont été lourdes parce que les prévenus n’ont pas pu constituer des avocats pour assurer leur défense. C’est devant cette forfaiture que les avocats de passage au tribunal se sont constitués gratuitement pour sauver ce qui pouvait encore l’être. Le 25 mars 2008, le vice-Premier ministre, ministre de la Justice, garde des Sceaux, M. Amadou Ali, déclare qu’il y a eu un total de 1 137 personnes interpellées dans les cinq régions touchées par les troubles. 729 personnes ont été condamnées à de peines comprises entre trois mois et six ans de prison ferme, dont 466 ont fait appel. 251 personnes ont été relaxées et 157 prévenus attendent d’être jugés. Et dont la quasi-totalité s’en sont tiré avec une condamnation. Le 20 mai 2008, le président Paul Biya signe deux décrets (n°s 2008/0174 et 2008/0175) portant commutation et remise de peines pour les personnes condamnées pour les émeutes de fin février 2008 au Cameroun.


Le décret présidentiel précise que les personnes condamnées à une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à un an bénéficient d’une remise totale de peine tandis que les peines de plus d’un an de prison sont réduites des deux tiers. Toutefois, les prisonniers retenus pour défaut de paiement des amendes ne peuvent pas recouvrer la liberté. Il en est de même pour ceux qui ont fait appel car n’étant pas encore condamnés définitivement. Or, pratiquement toutes les personnes condamnées à des peines d’emprisonnement, l’ont également été à des peines pécuniaires (amendes et dépens). La plupart des condamnés n’ont pas pu payer et ont fait appel de leur jugement d’instance. «Par conséquent, peu de détenus ont pu bénéficier de ces remises et commutations de peines, alors qu’une amnistie (effacement des peines dans le casier judiciaire) aurait permis de réparer les préjudices subis par ces jeunes», relève Madeleine Afité. Malgré tout, dans nos prisons, on retrouve encore des condamnés de ces évènements.  

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