14 avril 2009
Juliette Abandokwe
Ngarlégy Yorongar, le leader de l’opposition radicale tchadienne, est toujours hospitalisé à Ndjamena, pour un
mal mystérieux. L’ensemble des signes cliniques n’a pas encore été officiellement diagnostiqué avec précision et crédibilité. Entre sciatique, problèmes neurologiques et paralysies, le mystère
fumeux demeure.
La demande de visa qu’il avait faite le 26 février dernier à l’Ambassade de France, nécessitant un avis de la métropole, a reçu une réponse négative. On peut se demander pour quelle raison ce
visa pour la France lui a été refusé, alors qu’il a besoin de soins approfondis en urgence. Tout le monde sait qu’il a renoncé à son asile en France pour retourner sur sa terre natale et se
battre contre l’impunité. Depuis son retour, ses mouvements sont étroitement surveillés, et sa communication avec l’extérieur est pratiquement impossible. De toute évidence, son existance-même
met Déby et la France dans l’embarras.
On ne peut s’empêcher de se demander de quel mal souffre M. Yorongar, sachant qu’il avait déjà été enlevé et sauvagement battu et torturé par les forces gouvernementales après le retrait des
rebelles de Ndjamena le 3 février 2008. Il reste aujourd’hui la figure de proue de l’opposition contre Idriss Deby, le dictateur et ancien chef d’Etat-major d’Hissène Habré.
En pensant en profondeur à ces différents éléments, on ne peut s’empêcher de faire le lien avec les assassinats politiques pratiqués notamment en Afrique centrale ces derniers temps, sur des
personnes devenues terriblement gênantes pour la classe politique régnante. Bruno Ossébi au Congo Brazzaville, Marthe Moumié au Cameroun, Goungaye Wanfiyo en république centrafricaine, Kokouvi
Agbobli au Togo, ne sont que les tout derniers en date. Ils sont chaque fois morts de façon dramatique, et toujours dans l’exercice d’une tâche mettant en péril le sacerdoce de profonde
prédation des gouvernements en place, rigoureusement soutenus par la Françafrique. Les décès de ces personnes sont toujours déguisés en mort accidentelle, et l’implication d’une action
délibérée est pratiquement impossible à prouver sur le plan politico-formel. Mais les faits sont là, le mobile clair et net, et nous savons surtout de quoi sont capables les uns et les
autres.
Rappelons-nous ici particulièrement le cas du docteur Félix Roland Moumié, Président de l’Union des populations du Cameroun, mort à Genève par empoisonnement au thalium, le 3 novembre
1960. Et puisque preuve formelle se transforme forcément en accusation officielle, sa dépouille a mystérieusement disparu de
sa tombe en Guinée, afin d’effacer toute trace de preuves et donc de culpabilité. Sa dépouille d’ailleurs aujourd’hui fait presque autant peur que l’homme de son vivant.
L’excellent travail d’investigation du journaliste suisse Frank Garbely, officialise malgré tout la culpabilité de la France par le biais de la DGSE, dont le mobile était tout simplement de
rayer de la carte toute possibilité d’écarter ses mains basses sur le Cameroun en l’occurrence et sur ses autres colonies. Sylvanus Olympio, Patrice Lumumba, Um Nyobé et Ernest Ouandié, et plus
tard Thomas Sankara, Steve Biko et tant d’autres, ont été éliminés pour la même raison.
De leur vivant, l’opinion internationale « ne savait pas » que ses hommes devenus martyrs oeuvraient pour un véritable affranchissement de l’Afrique. La Guerre froide et le
« scramble for Africa » entre l’Est et l’0uest les avaient complètement diabolisé aux yeux de l’Occident, les traitant de « dangereux gauchistes ».
Ce n’est qu’après leur mort, qu’une certaine opinion internationale a compris leur sacrifice. Mais là encore, la surdité sélective des puissances occidentales, notamment de la France avec son
système médiatique très bien rôdé en la matière, semble toujours très contagieuse, maintenant dans les oubliettes des faits qui doivent pourtant intéresser les citoyens du monde entier.
La vie de Monsieur Yorongar est en danger. Sa disparition serait judicieuse pour le régime de Déby, ainsi que pour la France et ses intérêts pétroliers au Tchad. Son compagnon d’infortune,
Oumar Saleh, enlevé en même temps que lui, n’a jamais été retrouvé. Yorongar lui-même l’aurait vu lors de sa captivité, battu à mort par les hommes de Deby.
Que les sempiternels « qu’est-ce qu’on peut faire » s’effacent devant la levée des consciences. Levons-nous pour dénoncer la non-assistance délibérée de Monsieur Yorongar. Que les
médias sortent de leur torpeur manipulée, que les citoyens se posent des questions au-delà de ce qu’ils lisent dans les journaux.
Ce n’est pas seulement à l’Afrique de se réveiller. Mais c’est au « monde développé » également de se demander pourquoi et comment il existe, à se questionner sur l’éthique de ce qui
se passe aujourd’hui pour garder l’Afrique à genou.
L’impunité omniprésente doit cesser.
Les mobiles sont clairs : elle est au service des ressources naturelles, notamment de l’or noir, dont les dictateurs en
collaboration avec les néo-colons se prétendent propriétaires.
Les figures de proue ont toujours existé dans l’histoire de l’Afrique. Ne les laissons pas éternellement être transformé en martyr. Ces hommes et ces femmes ont un travail juste à accomplir,
mais c’est le Mal qui triomphe systématiquement. Posons-nous donc les bonnes questions, hors des sentiers battus des idées reçues de basse classe.
A bon entendeur.