25 août 2011
Adrien Hart
Le régime de Kadhafi s’est écroulé après un long règne de 42 ans. Si Nicolas Sarkozy apparaît comme le grand gagnant, les perdants sont l’Union africaine et l’Afrique du Sud, qui auront du mal à faire oublier leur soutien au Guide libyen.
Dans une guerre, il y a toujours ceux qui fêtent avec exaltation la victoire, et ceux qui sortent les mouchoirs pour essuyer leurs larmes. Petit tour d’horizon des gagnants et des perdants après la chute de l’ancien président de l’Union africaine, couronné «roi des rois africains» et dont les chèques généreux ont aidé de nombreux régimes du continent.
LES GAGNANTS
Nicolas Sarkozy
La guerre en Libye, c’était sa guerre. Et Nicolas Sarkozy l’a gagnée. La France a été très sévèrement (et justement) critiquée pour son attitude, sa passivité par rapport aux révolutions tunisienne et égyptienne. Paris semblait alors à l’écart du grand vent de l’Histoire qui balayait les côtes septentrionales de l’Afrique.
Le pays, qui aime tant se présenter comme celui de la «Révolution de 1789» et des droits de l’Homme a voulu se rattraper avec la Libye, dont le Guide avait pourtant été reçu en grande pompe à Paris en 2007, un an après l’élection de Sarkozy à la présidentielle. L’hôte de l’Élysée est ainsi le premier chef d’État à avoir demandé le départ du colonel Kadhafi (le 25 février) et le premier à avoir reconnu le Conseil national de transition (CNT) comme seul représentant du peuple libyen (le 11 mars).
Avec l’aide du Premier ministre britannique David Cameron, Sarkozy persuade l’Otan et les pays arabes (notamment le Qatar) de lancer une opération militaire dans les sables libyens, avec l’aval précieux du Conseil de sécurité de l’ONU. La presse raille alors «Super Rambo», un nouveau «Napoléon». Kadhafi résiste, les insurgés se divisent, l’enlisement est proche. «Sarkozy aura son Vietnam, son Afghanistan aux portes de l’Europe et juste avant la présidentielle de 2012», persiflent ses détracteurs.
L’intervention libyenne a coûté cher à l’armée française: 1,2 million d’euros par jour —en pleine crise économique. Mais les armées française et britannique ont prouvé qu’elles comptaient toujours parmi les plus puissantes au monde et constituaient la colonne vertébrale de la défense européenne. Un gain stratégique majeur face à l’Allemagne, superpuissance économique mais qui reste un nain dans le domaine militaire.
Le binôme Paris-Londres a aussi effacé l’affront de l’intervention franco-britannique du canal de Suez en 1956. Après avoir défait les troupes égyptiennes, les troupes coloniales avaient dû observer un cessez-le-feu et retirer leurs soldats à la demande de Washington et Moscou. Pour Londres et Paris, c’était la fin d’un monde, le «début de la fin» de leur empire colonial, le crépuscule de leur influence au Moyen-Orient.
Après l’intervention réussie en Côte d’Ivoire, la France marque avec la Libye son retour en Afrique et dans le monde arabe. Mais l’après-Kadhafi ne sera pas facile à gérer, les critiques voyant notamment en l’Otan une «armée d’occupation» sur une terre arabo-musulmane.
Barack Obama
Enfin une bonne nouvelle. Empêtré dans une grave crise de la dette, «dégradé» par l’agence de notation Standard & Poor's, le président américain peut savourer la chute de Kadhafi. En quelques mois, Washington a éliminé Oussama Ben Laden et contribué à chasser le Guide libyen. Pas mal.
Mais ces victoires ne dissipent pourtant pas cette impression de faiblesse, ce sentiment persistant de déclin de l’«empire américain». Si Washington a apporté une aide militaire non négligeable à l’intervention de l’Otan, les États-Unis ont toujours été en retrait, peu convaincus par cette entreprise franco-britannique.
L’indécision de Barack Obama au printemps, fort occupé par ailleurs en Afghanistan, a laissé le champ libre au volontarisme français.
Abdoulaye Wade
Le président sénégalais connaît des difficultés au plan national et a dû faire marche arrière à propos d’une modification contestée de la Constitution, juste avant la présidentielle de février 2012. Mais sur le plan international, Abdoulaye Wade, 85 ans, au pouvoir depuis 2000, a eu du flair sur la crise libyenne. Il a même été le 9 juin le premier chef d’État étranger à se rendre à Benghazi, dans le fief rebelle, pour demander solennellement à Kadhafi de partir:
«Il faut te retirer de la politique, ne pas rêver de revenir. Plus tôt tu partiras, mieux ça vaudra».
Cet appel à quitter le pouvoir ne manque pas de sel dans la bouche d’un président qui, à 86 ans, va se présenter pour un troisième mandat… Mais il marque un indéniable sens politique. Le Sénégal a été le deuxième pays du continent (après la petite Gambie) à reconnaître le CNT, allant à l’encontre de l’Union africaine. Le Sénégal, pays de 12 millions d’habitants, a une nouvelle fois montré que sa diplomatie dépassait le cadre de son environnement immédiat et avait des ambitions continentales —voire mondiales.
Les détracteurs du président Wade se gargarisent toutefois de l’opportunisme de l’octogénaire hyperactif qui avait déroulé à Dakar, il y a quelques mois seulement, le tapis rouge pour un certain Mouammar Kadhafi…
LES PERDANTS
L'Afrique du Sud
Le grand perdant de la chute du régime de Kadhafi pourrait bien être l’Afrique du Sud, première puissance économique du continent, qui vient de faire son entrée dans le club des Brics (avec le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine), les principales puissances émergentes mondiales, et qui est candidat à un poste permanent au Conseil de sécurité de l’ONU.
La diplomatie sud-africaine avait déjà été vivement critiquée pour avoir soutenu Laurent Gbagbo dans la crise ivoirienne, et pour avoir jusqu’au bout défendu un gouvernement d’union nationale entre Gbagbo et le vainqueur de la présidentielle, Alassane Ouattara. Mais elle n’a pas pour autant redoré son blason avec la crise libyenne. Une fois de plus, elle a œuvré pour un partage du pouvoir, refusant de reconnaître le CNT et critiquant avec virulence les frappes de l’Otan. Le président Jacob Zuma a même fait le déplacement à Tripoli pour essayer de convaincre, sans succès, son «frère» libyen.
Et Pretoria apparaît maintenant sur la défensive. Lundi, le gouvernement a dû démentir publiquement toute tentative d’exfiltration de Kadhafi, assurant que les avions sud-africains stationnés en Libye étaient uniquement «destinés à évacuer le personnel de l’ambassade». Mardi, Zuma est à son tour monté au créneau pour défendre la position de l’Union africaine, fortement inspirée par l’Afrique du Sud, en affirmant que l’utilisation de la force par l’Otan avait sapé les efforts de médiation africains…
Dans le même temps, l’autre géant africain, le Nigeria, premier producteur de pétrole du continent et pays africain le plus peuplé (160 millions d’habitants), a reconnu mardi le CNT comme seule autorité légitime. Abuja n’a même pas attendu le sommet de l’UA de vendredi sur la crise libyenne.
En compétition avec l’Afrique du Sud pour décrocher un siège permanent au conseil de sécurité de l’ONU, le Nigeria de Goodluck Jonathan a indéniablement marqué un point, même si la reconnaissance des insurgés est très tardive. Et sur la crise ivoirienne, Lagos avait également fait le bon choix, en soutenant Ouattara contre Gbagbo.
L’Algérie
Étonnant silence à Alger. La Tunisie a reconnu le CNT, le Maroc l’a suivie. La presse algérienne s’interroge: «Où est l’Algérie dans ce rendez-vous de l’Histoire?» Le pays partage une longue frontière avec la Libye, mais Alger n’a jamais demandé le départ du pouvoir de Kadhafi. L’ambassade d’Algérie a été la seule à avoir été saccagée après l’entrée des rebelles dans Tripoli. L’après-Kadhafi ne sera pas simple pour les autorités d’Alger.
L’Union africaine
L’organisation panafricaine a beaucoup souffert pendant la crise libyenne. Comment critiquer, comment «lâcher» un dirigeant africain qui a assuré la présidence de l’UA, qui a été un des principaux contributeurs à son budget? Depuis le début, Addis Abeba a inlassablement appelé au dialogue, critiqué les frappes de l’Otan, tenté des médiations.
Mais l’UA est restée prisonnière de ses contradictions. Et en appelant ses membres à ne pas appliquer le mandat d’arrêt international de la Cour pénale internationale (CPI) visant le Guide libyen, elle a pris une position diversement appréciée par les Occidentaux.
Comment va maintenant faire l’UA pour boucler son budget sans l’apport libyen? Il est grand temps que l’organisation panafricaine trouve en elle-même les ressources financières et la volonté politique pour influer enfin sur l’histoire du continent.