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2 février 2010 2 02 /02 /février /2010 10:38

1er février 2010
Claude Tadjon

La « modicité des sommes en cause » aurait milité pour leur sélection, indiquent nos sources. Le parquet se montre peu disert sur ce qui est considéré comme une évolution dans la conduite de l’opération Epervier,dont la troisième phase a été relancée au début du mois de janvier dernier. D’après nos informations, des personnes mises en cause ont été autorisées à verser des sommes d’argent en échange de l’abandon des poursuites pénales engagées contre elles. Plusieurs personnes mises en cause dans les détournements de deniers publics au ministère des Enseignements secondaires et au ministère de l’Education de base ont saisi cette perche, indiquent nos sources, en s’acquittant de ces frais et bénéficié ainsi de la liberté. Les mêmes sources indiquent que le principal critère de sélection des bénéficiaires est la « modicité des sommes mises en cause ».

E
n clair, il ne s’agit donc pas de remise en liberté sous caution tel que prévu dans le code de procédure pénale, notamment à l’article 224 dont la formulation est la suivante :

« (1) Toute personne légalement détenue à titre provisoire peut bénéficier de la mise en liberté moyennant une des garanties visées à l’article 246 (g) et destinées à assurer notamment sa repré¬sentation devant un officier de police judiciaire ou une autorité judiciaire compétente.
(2) Toutefois, les dispositions du présent article ne s’appliquent pas aux per¬sonnes poursuivies pour crime passible de l’emprisonnement à vie ou de la peine de mort ». Les garanties énumérées à l’article 246 (g) pour la représentation en justice sont « soit un cautionnement dont le montant et les modalités de versement sont fixés par le Juge d’Instruction, compte tenu notamment des ressources de l’inculpé, soit un ou plusieurs garants …»

La remise en liberté de certains suspects est bien une relaxe avec abandon des poursuites, indiquent nos sources. Se pose donc le problème du fondement juridique de cette perche tendue par l’accusation. Me Claude Assira, avocat et enseignant de droit pénal à l’université catholique d’Afrique centrale, (lire ci-dessous l’intégralité de son interview) parle de la notion de transaction qui permet justement à l’accusation de transiger : « Dans certains cas, on laisse la possibilité à l’autorité chargée des poursuites de mettre un terme à l’action publique, si elle peut obtenir de la personne mise en cause, du suspect, l’accomplissement d’un certain nombre d’obligations civiles dont le paiement d’une amende forfaitaire qui mettrait un terme à l’action publique que le procureur de la République aurait dû mettre en œuvre ».

L’article 64 du code de procédure pénale prévoit pour sa part que :
« (1) Le Procureur Général près une Cour d’Appel peut, sur autorisation écrite du Ministre chargé de la Justice, requérir par écrit puis oralement, l’arrêt des poursuites pénales à tout stade de la procédure avant l’intervention d’une décision au fond, lorsque ces poursuites sont de nature à compromettre l’intérêt social ou la paix publique.
(2) Dans le cas prévu au paragraphe 1 du présent article, le Juge d’Instruction ou la juridiction de jugement constate un dessaisissement sur l’action publique et donne mainlevée des mandats éventuellement décernés contre le bénéficiaire de l’arrêt des poursuites.
(3) Lorsque l’action publique a été arrêtée en application de l’alinéa 1er, le Juge d’Instruction ou la juridiction de jugement poursuit l’instruction ou l’examen de l’affaire sur l’action civile.
(4) L’arrêt des poursuites n’empêche pas leur reprise lorsque celles-ci se révèlent nécessaires…».

Nos sources indiquent que cette transaction a été proposée « au cours d’une communication spéciale » aux suspects par un émissaire du parquet pendant la phase de garde à vue à la direction de la police judiciaire en janvier dernier. Elle a été diversement appréciée. Le Jour n’a pas pu obtenir des détails sur la signification exacte de la notion de « modicité des sommes en cause », évoquée pour limiter le bénéfice de cette offre à quelques personnes. Plusieurs observateurs reconnaissent cependant qu’il s’agit d’un tournant majeur car c’est bien la première fois, depuis le lancement de l’opération Epervier, qu’une telle offre est faite par l’accusation.

Me Claude Assira : «Si des gens ont pêché par le porte-monnaie, autant les condamner par le porte-monnaie »

L’avocat et enseignant de droit pénal à l’université catholique d’Afrique centrale parle du versement des sommes d’argent par des mis en cause de l’opération Epervier pour recouvrer la liberté.

La semaine dernière, un débat relayé dans la presse a fait état de la mise en liberté de certains suspects interpellés dans le cadre de l’opération Epervier. On parle de remboursement par ces derniers des sommes détournées. Cette notion est-elle prévue dans le code de procédure pénale ?

Ce débat incite d’abord à la prudence. Il faut faire très attention aux concepts qui sont utilisés. Personne n’a pris la peine de vérifier préalablement quelle est l’étape procédurale où on se trouve, pour être certain qu’il s’agit bien d’un concept de remboursement. La deuxième chose, qui doit être déduite de ce que je viens d’indiquer c’est qu’il faut procéder à des vérifications préalables pour être sûr que nous parlons bien de la même chose. Pour répondre plus directement à votre question portant sur le remboursement, je dois dire que c’est une notion qui est impropre en matières de droit pénal. Le remboursement est plutôt, souvent, une notion de droit civil. On peut envisager la notion de transaction, que le code pénal emprunte au droit civil. C’est-à-dire que dans certains cas, on laisse la possibilité à l’autorité chargée des poursuites de mettre un terme à l’action publique, si elle peut obtenir de la personne mise en cause, du suspect, l’accomplissement d’un certain nombre d’obligations civiles dont le paiement d’une amende forfaitaire qui mettrait un terme à l’action publique que le procureur de la République aurait dû mettre en œuvre, selon les moyens du droit commun. Je pense que la notion la plus approchante est celle de la transaction, que la procédure pénale emprunte pour permettre l’extinction de l’action publique en la faisant asseoir sur cette notion civile.

La remise en liberté de personnes mises en cause dans l’opération Epervier s’inscrit, selon vous, dans une démarche légale ?

Ce que je veux dire c’est que le paiement d’une somme d’argent peut avoir été effectué en amont de la procédure. Dans ce cas, on peut imaginer qu’il s’agit du paiement de caution. Mais il faut préciser que le paiement d’une caution n’efface pas l’action publique, elle la maintient. La caution donne la possibilité, si vous me permettez l’expression, d’acheter sa liberté. Dans ce cas, la procédure va se poursuivre contre la personne mise en cause, même si cette personne est libre. En revanche la transaction éteint purement et simplement l’action publique. Quand la transaction a été accomplie, il n’y a plus de procédure. La question de savoir si la personne va être remise en liberté ou pas, s’il va avoir restriction de ses droits ou pas ne se pose même plus.

Le juge d’instruction a-t-il un pouvoir illimité en matière de remise en liberté sous caution ?

Une disposition particulière du code de procédure pénale restreint la liberté du juge d’instruction. Cette disposition exclue du bénéfice de la remise en liberté sous caution les personnes qui encourent la peine de prison à vie ou éventuellement la peine de mort.

Précisément, la plupart des personnes remises en liberté avaient été mises en cause pour détournement de deniers publics. Et le code pénal prévoit la prison à vie lorsque la somme détournée excède 500 000 Fcfa. C’est une entorse.

En tant qu’exégète du code de procédure pénale, évidemment je vais m’effrayer. Mais en tant avocat, défenseur de la liberté, je ne me plaindrai pas que le procureur de la République ou le juge d’instruction procède à une sorte de comblement de la loi ou de rattrapage. Il n’y a pas de raison particulière d’exclure les personnes qui encourent la peine de prison à vie ou la peine de mort. Il faut le rappeler, la liberté est la règle, il faut une décision exceptionnelle pour y mettre un terme. Personnellement, je pense qu’il s’agit d’une entorse salutaire.
Comment ces sommes d’argent versées sont-elles conservées ?

En principe c’est aux greffes. Lorsque les greffes sont bien organisés, c’est le greffier en chef ou éventuellement une personne qu’il a désigné, qui peut recevoir ces frais qui vont être ensuite reversés au trésor public. Théoriquement, c’est donc le trésor public qui est le dépositaire des fonds qui ont été versés.

Il y a comme une confusion générale pour le grand public. Un coup on parle de remboursement, un autre de transaction ou de caution, le parquet ne doit-il pas communiquer pour clarifier les situations des uns et des autres ?

C’est tout le débat de la Justice. Elle a cette ambivalence qu’elle nous concerne dans tous nos actes, mais dans le même temps on ne la connaît pas toujours. Malgré l’adage nul n’est sensé ignorer la loi, on connaît encore moins les lois, aussi bien celles qui nous protègent que celles qui nous menacent.

La question du recouvrement des sommes d’argent détournées par l’Etat a été présentée jusqu’ici comme le ventre mou de l’opération Epervier. Le paiement de ces frais par certains mis en cause apparaît comme un début de solution…

Je n’ai pas besoin d’être simple citoyen pour épouser votre suggestion. Il me souvient que l’année dernière, à l’occasion d’un débat auquel j’avais été convié, j’avais indiqué ce que je dis souvent à mes étudiants. De mon point de vue, l’emprisonnement est une peine extrêmement inadaptée actuellement. Si vous voyez l’état de nos prisons, il y a une surpopulation carcérale. Il faut s’occuper de ces personnes dans la dignité. Or nous sommes dans un Etat limité par ses moyens. Ma solution, qui est une solution transactionnelle, est la suivante : lorsque les mis en cause vont être reconnus coupables des faits pour lesquels ils sont poursuivis, si elles ont pêché par le porte-monnaie, autant les condamnés par le porte-monnaie. Ces personnes reversent ainsi à l’Etat du Cameroun ce qu’elles ont pris indûment. Le contexte dans lequel elles ont posé des actes doit être pris en cause dans l’appréciation de leur responsabilité. Un certain laxisme a contribué à encourager ces actes.

Verser des sommes d’argent dont les montants sont parfois faramineux, afin de recouvrer la liberté ne peut-il pas se retourner contre ceux qui se livrent à cet exercice, confirmant ainsi en partie les soupçons ?
C’est une simplification. Verser une indemnité pour recouvrer la liberté ne peut pas être considéré comme un aveu. N’importe quelle personne à qui on ferait ce choix, choisirait de payer pour être libre.

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