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27 juin 2008 5 27 /06 /juin /2008 06:37

23 Juin 2008

 

Il reste au plus deux années avant une nouvelle consultation populaire pour les élections présidentielles et législatives. Et comme bon nombre de pays balbutiant sur le chemin tortueux et complexe de la démocratie, toute élection revêt une importance particulière. Celle-ci permet soit, de consolider le processus démocratique entamé soit, de fausser les enjeux ce qui induit souvent une réaction malheureuse remettant en cause tout le processus engagé. Ces élections ont pour fondement la démocratie. Pour mieux appréhender le problème, revenons sur la définition de ce concept tant prisé aujourd'hui.

La démocratie est définie comme étant un régime politique dans lequel le peuple exerce sa souveraineté lui-même, sans l'intermédiaire d'un organe représentatif (démocratie directe) ou par représentants interposés (démocratie représentative). Ce système de régime politique se révèle être le meilleur pour l'heure et est en passe de devenir le système par excellence plébiscité par tout le monde car recommandé par l'Occident même si cela est sujet à caution.

La Centrafrique, faisant partie du monde, s'est ouverte à ce régime non sans rechigner. Pour y arriver, ce fut un combat acharné d'un certain nombre de compatriotes et surtout sous contraintes occidentales.

L'ouverture de ce pays au régime démocratique est devenue effective en 1992 après l'échec de l'expérience malheureuse pourtant pleine de promesses de 1981. Echec essentiellement du à l'égoïsme et la soif de pouvoir des uns et des autres.

De 1992 à 2008, il y a déjà 16 années. Les uns diront que c'est peu, les autres que c'est déjà beaucoup. Pouvons-nous essayer de faire le bilan de ces 16 années de démocratie multipartite ? Est-ce important de parler déjà d'un bilan ? La seconde question mérite une réponse immédiate qui ne peut être que positive. L'Afrique en général et la Centrafrique en particulier doivent s'inspirer du chemin déjà parcouru par ceux qui l'ont précédé dans ce régime politique. Ce, pour gagner du temps que de faire tout le chemin emprunté déjà par les uns et les autres car l'intelligence humaine confère la capacité de s'inspirer d'un fait donné pour l'adapter à un cas spécifique.

Cette réponse succincte à la seconde question invite l'homme centrafricain à faire le bilan de ces années de la démocratie dans le but de recadrer les choses ou mieux de faire des juxtapositions dans le sens de l'intérêt supérieur de la nation, qui ne saurait être dicté par une quelconque entité car unique et révèle l'identité propre d'un pays.

Mais avant de faire le bilan dans l'optique de tirer des conclusions et d'apporter une esquisse de solutions, il convient de faire l'état des lieux de la démocratie en Centrafrique. Cet état des lieux est précédé d'un rétrospectif du chemin parcouru depuis l'avènement de ce régime politique sous les cieux centrafricains.

Rétrospectifs

Le point de départ de ce rétrospectif est délimité à l'exercice du pouvoir MLPC car c'est le premier régime issu des urnes après la fin de la bipolarisation. Un parcours rapide des grands faits survenant en Centrafrique pendant cette période démocratique

Après la victoire sans ambiguïté du MLPC aux élections législatives et présidentielles de 1993, il revient à cette formation politique, comme prévu par la constitution de toute démocratie, de former le gouvernement et d'orienter les grandes politiques du pays en fonction du programme électoral sur lequel elle est élue.

Le premier gouvernement a été mis en place aux lendemains de l'investiture du Président Ange Félix Patassé et dirigé par le regretté Professeur Jean-Luc Mandaba. Comme convenu, cette formation gouvernementale est essentiellement composée des Mlpcistes. Très vite, il y a une motion de censure déposée par les parlementaires de la formation victorieuse en l'encontre du gouvernement. Bel acte démocratique diront les uns, arrangement ayant comme toile de fond le tribalisme diront les autres. A chacun d'apprécier…

Le second gouvernement était dirigé par Gabriel Jean-Edouard Koyambonou et toujours les membres du parti victorieux ont logiquement tous les postes ministériels. C'est avec ce gouvernement que le pays est rentré dans la zone de turbulence des crises militaro-politiques composée des mutineries et des coups d'état à répétition. Le gouvernement Koyambonou a fait face aux deux premières mutineries, à l'issue desquelles il est apparu une profonde scission dans la population civile marquée par un repli ethnique de chaque groupe constituant le pays. Un clivage distinct Nord-Sud a pris forme et modèle dès lors les grandes tendances du pays.

L'une des solutions trouvées est celle de former un gouvernement d'union nationale dénommée (GUN) dirigé cette fois par une personnalité politique ne venant point de la sphère de la majorité parlementaire. Jean-Paul Ngoupandé a totalisé 8 mois comme chef de gouvernement avec à la clé quelques faits majeurs : le paiement régulier des salaires pendant 6 mois consécutivement (prouesse que ces deux prédécesseurs n'ont pu accomplir) ; un ralentissement conséquent dans les voyages incessants du chef de l'Etat ; un leitmotiv vieux comme le monde : l'homme qu'il faut à la place qu'il faut, ou encore donnant-donnant ; une crise dans la gestion du Ministère des Mines et de la Direction de la PETROCA ; la troisième mutinerie.

Après la troisième mutinerie, le gouvernement est confié à Michel Gbézéra-Bria. Celui-ci est dénommé Gouvernement d'Action pour la Défense de la Démocratie (GADD). Sur la lancée du troisième gouvernement, une part est faite aux personnalités venant de la société civile mais le MLPC a repris la main par le nombre important de ces cadres dans le gouvernement.

Le GADD cédera la place à un autre gouvernement dirigé cette fois par un technocrate venu des institutions financières sous-régionales en la personne d'Anicet Georges Dologuélé apparenté MLPC.

Pendant son passage l'on retiendra la première entorse importante en la démocratie par le refus de la cohabitation concrétisée par le débauchage par le MLPC d'un député élu sous les couleurs de l ‘opposition en la personne de M. Koudoufara ; des affaires rocambolesques et ubuesques de Zongo Oil et celui d'un supposé blanchiment d'argent dont l'on ne saura pas grand choses si ce n'est un important coup de balai au sein de la représentation de la BEAC à Bangui.

Deux années plus tard, il y a formation d'un autre gouvernement dirigé toujours par un apparenté MLPC en la personne de Martin Ziguélé. Celui-ci restera en poste jusqu'au fameux coup d'état de François Bozizé. Mais l'on retiendra le coup de force du 28 mai 2001 revendiqué par l'ancien chef d'Etat le Général André Kolingba et les assassinats ciblés sur des personnes du même groupe ethnique que le commanditaire ; la mise en place de la commission mixte d'enquête ; l'entrée en rébellion du Général Bozizé ; la tentative de coup de force du 27 octobre 2002, les exactions des troupes de Jean-Pierre Mbemba et des hommes de Paul Baril.

Pour récapituler, le régime MLPC dirigé Ange Félix Patassé son président a eu besoin de 6 premiers ministres en dix ans de présidence et un lexique de dénomination de gouvernement à toute épreuve.

Après le régime Patassé, il y a ce coup d'état intervenu suite à une rébellion destructrice conduite par le Général François Bozizé. Une fois conquis le pouvoir, celui-ci a mis en place un gouvernement dit de transition dirigé par le Professeur Abel Goumba. Une période de transition de deux années qui aura besoin finalement de deux chefs de gouvernement, car le Professeur Abel Goumba sera remplacé par Célestin Leroy Gaombalet.

La période de transition étant finie, le pays est rentré dans le cercle sacro-saint des pays démocratiques, il a fallu la formation d'un nouveau gouvernement qui est dirigé depuis juin 2005 par Elie Doté.

Des rumeurs de remaniement ministériel, il n'en est rien sauf que des décrets épisodiques relevant des membres du gouvernement avec des ajustements tout aussi incompréhensibles que les motivations des révocations. Finalement, Monsieur Doté sera évincé au profit de Faustin Touadéra.

En 16 années de régime démocratique, le régime MLPC (en dix ans de règne) a utilisé 6 Premiers-ministres. Et celui de Bozizé (déjà 5 années) est sur le 4ème Premier-ministre. Il y a un total de 10 chefs de gouvernement dans cet espace.

Etat des lieux

Ce travail résulte en grande partie de ce rétrospectif. Et l'on peut aisément se rendre compte qu'il y a beaucoup de choses qui sont appelées à être revues, corrigées et même rejetées tout simplement dans le souci de faire des juxtapositions des valeurs démocratiques sur les réalités sociologiques et politiques du pays Centrafrique.

Cet état des lieux fait partager un constat difficilement pris en compte par les politiques et encore moins par l'ensemble de la population pour cause d'irresponsabilité et de fuite en avant.

En Centrafrique comme dans nombre de pays africains, l'on ne peut réellement parler de la démocratie. Il convient tout simplement de qualifier ce phénomène masqué sous pavillon démocratie, d'ethnocratie.

Les raisons ne manquent pas pour étayer ce jugement péremptoire car dans une démocratie effective, tout parti politique suit une idéologie bien donnée. Ce qui n'est le cas en Centrafrique. Aucun parti dans ce pays n'a une idéologie (dernièrement après une trentaine d'années d'existence, le MLPC s'est affilé à l'International Socialisme) bien définie sans ambiguïté. Les assises des partis politiques ne sont rien d'autre que les ethnies auxquelles sont issues leurs différents leaders. Pour preuve, prenons les résultats des élections présidentielles de 1999 qui illustrent le mieux ce jugement.

Au-delà de la réélection en 1999 du Président Ange Félix Patassé avec 51,63 % de voix suivis de Kolingba avec 19,38 %, David Dacko avec 11,15 % et Abel Goumba avec 6,06%, l'on pourrait constater que la RCA n'est pas différente de ces pays d'Afrique où l'ethnie et la région sont devenues des valeurs refuges et où les dirigeants politiques sans exception ont tendance à beaucoup plus utiliser et même à exacerber “ce matériau tribal “ pour favoriser leur victoire électorale. L'efficacité politique de cette vile instrumentalisation ethnique se révèle dans le résultat de cette présidentielle, comme en témoigne le tableau ci-dessous, où chacun des 5 candidats arrivés en tête a remporté plus de 70 % des voix dans sa sous-préfecture d'origine.

Tableau : Résultats des élections présidentielles de 1999

Candidat Sous-préfecture % Préfecture % % RCA

PATASSE (MLPC) Paoua 99,1 Ouham Pendé 95,8 51,63

KOLINGBA (RDC) Kembé 87,3 Basse Kotto 83,2 19,38

DACKO (MDD) M'baïki 85,3 Lobaye 74,4 11,15

GOUMBA (FPP) Kouango 73,3 Ouaka 31,3 6,06

POUZERE (Indépendant) Ippy 87,2 Ouaka 33,2 4,19


Cet exemple de la présidentielle de 1999 n'est point une exception. Il est fort corroboré par les résultats de celles de 1993 et de 2005.

A l'instar des élections présidentielles, les législatives sont plus symptomatiques et attestent ce repli ethnique dénoncé. Chaque candidat, à l'exception de Bangui, doit être nécessairement originaire de la région dont se trouve sa circonscription.

Jamais l'on a vu un ressortissant du Nord poser sa candidature aux législatives dans les circonscriptions du Sud ou du Centre. Encore moins un ressortissant du Sud faire le chemin inverse. Quel Yakoma se risquerait de se présenter député de Koui ou même d'une des circonscriptions de Bossangoa ou de Bossembélé ou de M'baïki ? Quel centrafricain peut imaginer qu'un Kaba se présente à Kouango ou à Bambari ou encore à Kembé ? Et que dire d'un Zandé ou d'un Nzakara ou d'un Mandja ou encore d'un Banda de se présenter dans les circonscriptions de la région Ouest de la Centrafrique ? Pourtant ces différentes ethnies citées font partie intégrante de la République Centrafricaine , donc chaque centrafricain est dans son pays qu'importe la région. Cet entendement n'est point intégré en chaque centrafricain.

Evidemment il est souvent aisé de faire allusion aux fiefs de chaque candidat. Si cette notion est réelle dans les pays occidentaux, l'on manque toujours de faire remonter la longue marche de ces pays qui ont déjà dépassé largement les clivages ethnico-régionalistes. Et aussi ce que les uns et les autres occultent souvent à dessein ou par ignorance, c'est selon, c'est qu'en Occident lorsqu'on parle de fief cela n'induit pas obligatoirement être originaire d'une localité donnée. C'est plutôt l'ancrage au sein de la localité et une appréciation sur fond de résultat qui constituent la clé des élections législatives. Un autre fait éludé est le parachutage opéré par des partis politiques d'un candidat dans une circonscription dont il n'est originaire. Ces exemples sur le parachutage battent en brèche l'idée véhiculée des fiefs brandie à chaque coin de rue pour masquer ce penchant tribal.

Ces cas évoqués nous placent devant l'évidence misérabiliste où tout se résume aux différentes ethnies en faisant abstraction du dessein de la nation. Et cette réalité place le pays dans une dynamique moribonde où les replis ethniques sont devenus le lot plus ou moins “normal“, non de toute la population, mais d'une bonne partie de l'élite du pays Centrafrique.

Outre cette réalité triste où toute la nation est prise aux différents pièges des apprentis sorciers tribalistes, il convient de relever un fait important facteur premier du piétinement de la RCA : la politisation de l'administration centrafricaine ou encore plus exactement “l'ethnicisation“ totale de la République. Toute promotion même à des postes techniques se fait par cooptation sur fond tribal. L'on a une chance d'avoir un poste de responsabilité si l'on est du parti ou mieux de l'ethnie ou de la région vainqueur des élections.

Tout centrafricain se rappelle l'accaparement des postes de responsabilité par des centrafricains issus de la même région que Kolingba. Même au temps rêvé de la démocratie, toutes les institutions de la République était entre les mains des personnalités issues d'une seule ethnie ou région, sans compter des postes de responsabilité au sein de l'administration où le militantisme ne rime pas obligatoirement avec compétence, sont brigués par des apparentés MLPC ou mieux par des personnalités issues directement de la région du chef de l'Etat. Cette tendance est exacerbée aujourd'hui par le régime Bozizé.

Eu égard aux faits énumérés, parler de la démocratie est une hypocrisie. L'honnêteté intellectuelle doit nous conduire à reconnaître la déviation grotesque de la démocratie sur l'ethnocratie. Reconnaître l'existence bien vivante de cette déviation, la dénoncer perpétuellement, inciterait la génération montante à penser une solution adéquate à ce problème qui ne doit pas perdurer pour risque de repli ethnique définitif synonyme de la fin de l'Etat Centrafrique.

Les raisons de cette déviation

La première cause de la déviation de la démocratie à l'ethnocratie est identifiée. C'est tout simplement l'utilisation du matériau tribal comme outil de la conquête du pouvoir. Une des raisons se trouve dans la gestion des partis politiques qui ne remplissent leur fonction fondamentale. Maurice Duverger disait qu'un parti politique pouvait se définir par ses trois fonctions : la première est celle d'accompagnement d'un candidat pour la conquête du pouvoir. La deuxième est celle d'éducation de ses membres et la dernière est celle d'information. Personne n'oserait prétendre qu'un parti politique en Centrafrique remplisse ces trois fonctions. Souvent, ce n'est que la première fonction qui est remplie convenablement, et encore… Les deux dernières sont remplies mais dans le sens opposé, c'est-à-dire pour répandre la haine, la manipulation par le mensonge, etc.

Pourtant les dirigeants des partis politiques – non les présidents - sont issus de l'élite du pays. Qui dit élite sous-entend un certain sens critique, un éclairage intellectuel pouvant résister à tout ce qui a comme désinence en “isme“ comme tribalisme, obscurantisme, etc.

Peut-on dire que le tribalisme est un phénomène prisé de l'élite centrafricaine ? Et pourquoi cette propension à un concept vil et rétrograde ?

Les risques encourus

En Afrique en général, l'ethnie constitue une espèce de valeur refuge à tort ou à raison. La Centrafrique n'échappe pas à cette triste réalité. Et s'il faut rester dans cette posture le risque des débordements souvent évités par miracle deviendra inéluctable. Or, il faut rappeler qu'aucune ethnie ne véhicule des valeurs négatives. Aucune ethnie ne répand la haine de l'autre. Toute (ethnie) sans exception prône le vivre ensemble, le partage, l'entraide, le travail, la dignité. Et puisque tout système est dual, les uns et les autres accentuent le côté négatif de l'ethnie pour leur intérêt égoïste, et, se faisant l'on discrédite ce nid rempli de valeur et de repères. Aujourd'hui en Afrique en général et en Centrafrique en particulier, nous ne réservons que l'idée négative de l'ethnie comme étant le vecteur des différents maux du continent.

Beaucoup de pays ont déjà payé au prix fort la haine tribale découlant directement des contestations électorales. Les raisons expliquant souvent ces contestations se trouvent essentiellement dans la déviation de la démocratie sur l'ethnocratie. Dans les pays à bigarrure ethnique, Centrafrique faisant partie intégrante, le multipartisme arrive par un véritable système d'ethnocratie, à décalquer le découpage régional voire tribal quand il ne l'accentue pas.

Ces faits sont connus de tout le monde. La définition élitiste de la démocratie multipartiste où un individu est égal une voix appliquée dans les Etats africains est la cause première de cette déviation vers l'ethnocratie. Ainsi accèdent au pouvoir, grâce à une loi du nombre – non celui d'un programme cohérent et ambitieux – plus ou moins biaisée, des représentants des communautés qui résistent mal à la tentation d'opprimer, en toute légalité (parce que “démocratiquement élu“), les vaincus de la course aux voix. Le paravent de la profession de foi au goût du jour n'aura servi qu'à couvrir des privilèges et des privilégiés, comme le faisaient, au bon vieux temps, les slogans autoritaires ou populistes des dictatures.

Cette propension à “punir“ tous ceux ne venant de sa région et / ou ethnie, car considérés comme ennemis à tort ou à raison est la chose la mieux partagée par les populations issues de l'ethnie vainqueur des élections. Cette assertion est corroborée, dans le cas de la Centrafrique , par la réélection d'Ange Félix Patassé en 1999. D'après David Easton : “les votes, qui dans un système démocratique, découlent de l'identification à un parti ou à un candidat, constituent des prises de position sur un problème. Le parti et le chef représentent des points de vue précis sur les problèmes du jour, du moins dans la mesure où ils reflètent une orientation par rapport à ces problèmes. Un vote pour la liste du parti ou pour un dirigeant signifie au minimum que l'électeur considère cet individu ou cette organisation comme ayant une orientation qui conduira vers ce qu'il estime être une façon convenable de traiter les problèmes de décision, présents ou à venir“.

En effet, malgré le premier mandat calamiteux du parti MLPC, les centrafricains se sont portés une fois de plus sur la personne d'Ange Félix Patassé. Cette attitude est une marque de soutien au tribalisme qui, non plus latent mais bien réel, gangrenait la société centrafricaine.

Ce repli identitaire sur la valeur ethnie est une menace réelle pour l'entité Centrafrique de ce qu'il lui reste du statut d'Etat. Et ce pays n'est point le seul menacé. Souvent pour cause d'incompétence à géométrie variable, lorsque le peuple s'en prend au dirigeant, les ressortissants de la même ethnie que ce dernier se croient l'objet d'une vindicte injuste. Quand les Centrafricains s'en prenaient au régime Kolingba, une bonne partie des Yakoma se croit attaquée. Egalement, les Kaba, Souma, Dagba et consort se croient critiqués lorsqu'on ressort les manquements criants de Patassé. Ce ne sont point les Gbaya qui estimeront le contraire dans le cas de Bozizé.

Pourquoi ne pas dissocier une personne de son ethnie ? Et aussi pourquoi les personnes issues d'une ethnie donnée se croient concerner lorsqu'on évoque des impairs causés par une personne de cette même ethnie ? Des vrais sujets de réflexion dont des réponses doivent constituer une urgence pour résorber la plaie béante dans la conscience collective. Parce que ce “péché mignon“ de l'ethnie a des conséquences dont chacun appréhende les répercussions mais que personne ne veut aller en l'encontre. Et chaque jour davantage, “l'ethnicisation“ du pays poursuit allégrement son chemin.

Cette ethnocratie émergeant sous pavillon démocratie accentue sa pression par la perversion des mentalités au sein de la population en général. Cette perversion des mentalités est ce repli ethnique dénoncé ci-haut. Et preuve concrète est le nombre pléthorique des associations des ressortissants de telle ou telle autre préfecture. Tout se fait maintenant au niveau des ethnies et des régions, l'espace public national est déserté totalement. Certes, s'investissant dans les associations des régions ou des ethnies, c'est toujours en Centrafrique. Mais le risque est énorme car d'aucun n'ignore la perception faite aux ethnies et celle-ci es en contradiction totale aux valeurs républicaines seules capables de nous rassembler pour créer un espace adéquat au développement du pays.

Pistes de réflexion

Devant ces réalités difficilement contestables, appliquer rigoureusement les principes de la démocratie en Centrafrique est déjà un échec. Pour autant, il ne sera avantageux de revenir sur les grands idéaux de la démocratie. L'alternative présente susceptible de nous éviter ce glissement de terrain à finalité chaotique est un réajustement, avec un savant dosage, des grands idéaux de la démocratie sur les réalités socioculturelles du pays.

Des pistes de réflexion se dégagent aisément dont voici quelques unes :

- Que les partis politiques remplissent les 3 fonctions essentielles rappelées ci-dessus mais surtout les deux dernières. Cette tâche incombe à la jeune génération lasse du clivage ethnique. Elle aura comme conséquence une meilleure perception de chaque individu comme acteur majeur de son bien-être et du développement de son pays. Seule une meilleure éducation, des informations fiables à l'adresse de la masse lui conférera une visibilité assez dense capable de lui faire jouer pleinement son rôle de citoyen où celui-ci s'appuiera sur l'autre sans lui poser la question fatale : mara ti mo ayéké gniè ?

- Que la démocratie ne s'arrête point qu'à l'organisation des élections. Avant d'être une question de pertinence des institutions ou d'adhésion à des valeurs, la démocratie est une affaire de savoir-faire et de compétences pratiques (la démocratie a un vecteur, des corollaires) dans le domaine de la parole et des relations avec autrui. Sans ces compétences chez ceux qui sont censés en être les acteurs, à tous les niveaux, nous avons des démocraties sans démocrates, des citoyens sans parole, et donc un processus stoppé dans son élan. La valeur de chaque mot, de chaque intervention est primordiale en démocratie. Que les responsables politiques se réclamant de la démocratie respectent leurs paroles. Et au-delà de leur parole, qu'ils sachent écouter également ceux qui leur parlent. Il est hypothétique de vouloir parler de la démocratie et ne point accepter la contradiction. Donc un cadre de débat contradictoire dans un élan patriotique est important pour la Centrafrique. Encore une fois de plus, il est fait appel aux jeunes (entendons par jeune toute personne n'acceptant la médiocrité, la vilenie, c'est-à-dire l'inacceptable.) de s'emparer de cette urgence pour la concrétiser en une réalité heureuse pour le pays.

Ces deux pistes si elles sont empruntées, la démocratie centrafricaine connaitra un essor formidable et enclenchera le levier d'un dynamisme sans précédent. Mais ces deux pistes sont soumises à une autre réalité politique découlant de la démocratie : l'alternance politique.

C'est le point d'ancrage du frein de l'évolution en Centrafrique et dans bon nombre de pays africains. Une opportunité a été dilapidée en 1999. Les centrafricains ont du mal à reconnaître que les plus graves turbulences qu'a connues le pays résultent des tripatouillages de ces élections. Le refus du régime de l'époque d'accepter les résultats seulement des élections législatives, qui devraient déboucher sur une cohabitation, sans parler des nombreuses irrégularités pour les élections présidentielles dont a vu la victoire du Président sortant au premier tour.

Pour pallier cette absence réelle d'alternance politique, il y a la possibilité de juxtaposer les compétences démocratiques sur les réalités socioculturelles du pays. Ce n'est point une maigre affaire mais cela est nécessaire car elle nous éviterait des dérapages macabres comme ce fut le cas au Congo (Brazzaville) ou au Kenya. Et cette préoccupation est celle capable d'annihiler (pour un temps) le phénomène de l'équation élitiste, occidentale : une personne = une voix.

Pour y arriver, du courage et un travail intellectuel éclairé par les réalités socioculturelles sont susceptibles de nous aider. Mais encore, il est primordial que l'on se rend compte de cette urgence car chaque élection est toujours un moment de tension où tout peut basculer du jour au lendemain plongeant le pays dans le chaos.

Comment harmoniser les éléments sociétaux et sociaux du pays pour que cette équation n'ait comme corollaire un vote ethnique ou un débordement macabre ? Voici le défi, une fois de plus à relever par les jeunes centrafricains. Et l'on peut réfléchir à la possibilité de vider la fonction présidentielle de ses prérogatives comme définies aujourd'hui en renforçant celles du chef du gouvernement qui sera désigné par un savant mécanisme qui atténuerait l'acuité souvent sue mais non dénoncée de l'équation ci-dessus. Ce savant mécanisme est possible à trouver si tout un chacun s'y mette en prenant comme souci majeur une alternance politique sans débordement ni contestation à tort ou à raison.

Comme disait Gaston Berger : “Demain est moins à découvrir qu'à inventer“, notre lendemain nous appartient. Il n'y a que nous pour l'inventer pour l'harmonie de notre société en fonction de nos réalités et de nos désirs d'avenir – si désir, il y a.

Henri-Paul Akibata
L'Indépendant
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