2 décembre 2012
Djibnet
La solution est en nous, dans notre confiance en nous, dans notre action collective, dans notre imagination, dans notre détermination
Interview de Monsieur Daher Ahmed Farah (DAF),
Président du MRD
Au Renouveau djiboutien et à Djibouti2011
«Le contexte actuel nous fait obligation d’agir pour le déverrouillage électoral»
De concert avec le média social Djibouti2011, le Renouveau Djiboutien, organe de presse du MRD, a pu obtenir une interview du président du MRD, Monsieur Daher Ahmed Farah (DAF). Au menu de cet entretien : la situation politique que traverse le pays, les élections législatives du 22 février 2013, la nouvelle donne politique intervenue dans la sous-région ces derniers mois ainsi que l’agenda politique du MRD pour le proche avenir. Lire l’intégralité de cet entretien ci-après.
Propos recueillis par Mohamed Houssein Absieh.
Le Renouveau Djiboutien :
D’abord, merci de nous accorder cet entretien. Une première question, qui nous brûle les lèvres : avez-vous des nouvelles des prisonniers politiques qui se trouvent actuellement dans la prison de Gabode à Djibouti ? Quelles sont les conditions dans lesquelles ils sont détenus et les motifs de leur détention ? Nous rappelons aux lecteurs que votre propre frère Houssein Ahmed Farah faisait partie de ces détenus pas comme les autres et qu'il a été libéré tout récemment, dimanche 18 novembre 2012.
Daher Ahmed Farah (DAF) :
Malheureusement, le régime détient toujours des démocrates djiboutiens à la prison centrale de Gabode pour les punir de leurs opinions et engagement démocratiques légitimes. C’est le cas de Mohamed Hassan Robleh, militant de notre parti d’opposition MRD (Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement), interpellé le 25 février 2011 à Djibouti-ville et torturé; de Mohamed Ahmed dit Jabha du mouvement armé d’opposition FRUD (Front pour la restauration de l’unité et de la démocratie), interpelé en mai 2010 au nord du pays et torturé ; de Hamoud Elmi Ahmed dit Gedaleh, militant du parti d’opposition UDJ (Union pour la démocratie et la justice ), interpellé en février 2011 et torturé; d’Adan Mahamoud Awaleh, interpellé le 25 février 2011 à Djibouti-ville et torturé. C’était aussi le cas du journaliste, défenseur des droits de l’Homme et cadre du MRD Houssein Ahmed Farah de La Voix de Djibouti, mon frère, arrêté le 8 août 2012 et placé sous mandat de dépôt à Gabode trois jours plus tard pour près de trois mois et demi de détention arbitraire.
Les conditions de détention sont particulièrement difficiles à la prison de Gabode que je connais bien pour y avoir été détenu à plusieurs reprises au cours des années 1990 et 2000. Avec ses cellules surchargées et trop peu équipées, ce qui entraîne promiscuité et atmosphère irrespirable, avec la pénurie alimentaire qui y frappe (en quantité comme en qualité), les privations de visite qu’elle inflige, les mauvais traitements psychologiques et physiques qu’elle pratique, son assistance médicale défaillante… la prison de Gabode est l’une des plus dures au monde. Pour vous donner une idée, dans une cellule de 24 mètres-carrés, s’entassent 75 détenus, et les sévices corporels sont courants. C’est un lieu où règne une violence morale et physique.
Le Renouveau Djiboutien :
La rentrée politique et sociale de 2012/2013 a débuté. Quel est votre agenda en la matière ?
Daher Ahmed Farah :
Notre programme pour cette rentrée 2012/2013 est de continuer à œuvrer à l’intensification de la lutte pour le changement démocratique à Djibouti. Mes camarades du MRD, du reste de l’opposition et moi-même redoublons d’activités de manière à faire entendre raison au régime et à son chef, le président Ismaël Guelleh, qui ignorent les aspirations démocratiques de l’immense majorité des Djiboutiens. Il nous faut réussir une mobilisation populaire soutenue qui soit adossée à une sensibilisation internationale accrue.
Le Renouveau Djiboutien :
Avant d’entrer dans le vif de notre entretien, permettez-nous cette question, Monsieur le président. On a l’impression que Djibouti brûle aussi au sens propre du terme. Le patrimoine public (mairie de Djibouti, chambre des comptes, poste de Djibouti, etc.) est mis à feu lorsqu’il n’est pas pillé ou bradé. Pourquoi cette volonté de mise à feu du patrimoine public par le régime en place ?
Daher Ahmed Farah :
Je constate en effet que les incendies se multiplient dans la capitale djiboutienne. Ils frappent les quartiers populaires où ils sont souvent attribués à des courts-circuits électriques liés à un usage désespéré de l’énergie d’Electricité de Djibouti (EDD). Il semble que, face à la cherté de cette énergie électrique, devenue inaccessible à la majorité des Djiboutiens, cherté largement liée à la mauvaise gestion publique, certains habitants en soient réduits à des branchements risqués. C’est un signe supplémentaire de la détresse où se trouve le plus grand nombre des Djiboutiens. C’est inacceptable dans un pays tel que le nôtre qui ne manque pas d’atouts. Dois-je rappeler qu’en matière de potentiel énergétique, nos possibilités sont considérables : nous avons du soleil, du vent, de la géothermie, de longues côtes et des marées vivantes, qui sont autant de sources d’énergie ? Et nos besoins sont à la mesure de notre taille, c’est-à-dire relativement aisés à satisfaire. Je constate aussi que certains lieux administratifs ou économiques brûlent les uns après les autres. Après les locaux et les archives de la chambre des comptes et de discipline budgétaire qui ont été détruits par un incendie le 25 novembre 2008, après la poste de Djibouti qui a brûlé le 13 mai 2012, suivie d’un autre sinistre à la mairie et à la préfecture de la capitale le 30 août 2012, c’est la banque de l’Etat somalien et ses archives qui ont été consumées par le feu le 13 octobre 2012. Ce, sans que l’on sache ni comment ni pourquoi. Or, c’est à chaque fois une partie de la mémoire écrite du pays qui disparaît. Il y a là de quoi s’interroger. Parallèlement, vous avez raison de le relever, l’on assiste à un bradage effréné du patrimoine immobilier de l’Etat et à une très mauvaise gestion foncière. Tout cela est préjudiciable à l’intérêt général et doit cesser. Le régime doit faire cesser cette situation.
Le Renouveau Djiboutien :
Que pensez-vous de la situation politique générale qui prévaut actuellement dans le pays ?
Daher Ahmed Farah :
La situation générale de Djibouti, et ce que je viens d’évoquer l’indique en partie, est très préoccupante. A tous égards. Socialement, c’est la misère généralisée. Economiquement, le pays tourne au ralenti. Politiquement, le verrouillage reste total. Administrativement, le délabrement est avancé. Culturellement, les esprits sont sous une chape de plomb. C’est une situation telle qu’il nous faut un sursaut national porté par une mobilisation massive de toutes les forces vives du pays.
Le Renouveau Djiboutien :
Un scrutin législatif se profile à l’horizon, il aura lieu le 22 février 2013. Beaucoup de Djiboutiens se disent qu’il y a peut-être en ces élections parlementaires une occasion de débloquer la situation et de mettre le pays sur la voie du changement. Quelle est votre lecture et pouvez-vous nous confirmer ici que l‘opposition y participera ?
Daher Ahmed Farah :
C’est une question d’actualité que je ne peux éluder en tant que citoyen et responsable politique. Je rappelle d’abord que tout parti politique qui s’inscrit dans une logique démocratique, a vocation à briguer les suffrages des électeurs. Aussi la Constitution en vigueur à Djibouti l’affirme-t-elle qui dispose que «les partis politiques concourent à l’expression du suffrage». Nous avons été, au Parti du renouveau démocratique (PRD) devenu Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement (MRD), la première formation à participer à des élections dites pluralistes. Nous l’avons fait dès le 18 décembre 1992, à l’occasion des premières élections législatives organisées dans le cadre de la Constitution du 4 septembre 1992, quelques mois après la fondation du parti par le congrès du 12 septembre 1992. Nous avons été crédités du score fortement minoré de 25% des suffrages exprimés, sans que ce score officiel ne se traduise par aucun siège à l’Assemblée nationale. Nous avons participé à l’élection présidentielle du 7 mai 1993 où notre candidat, le regretté Mohamed Djama Elabé, a été crédité du même score minoré de 25%. Nous avons participé à l’élection présidentielle du 9 avril 1999 en soutenant le candidat unique de l’opposition, Moussa Ahmed Idriss, figure de l’histoire politique djiboutienne et de la lutte pour l’Indépendance, qui a été lui aussi crédité du score minoré de 25% des suffrages. Plus près de nous, nous avons participé aux législatives du 10 janvier 2003 sous la bannière commune de l’Union pour l’alternance démocratique (UAD), aux côtés notamment de l’Alliance républicaine pour le développement (ARD) du regretté Ahmed Dini Ahmed et de l’Union pour la démocratie et la justice (UDJ) d’Ismaël Guedi Hared. Notre liste commune a été, malgré la fraude massive opérée par le régime, créditée de près 40%, score élevé qui n’a pourtant donné lieu à aucune représentation de l’opposition à l’Assemblée nationale. Le fait que ces scores significatifs (bien que fortement minorés par la fraude du pouvoir) ne recueillent aucun siège de député à l’Assemblée nationale s’explique par le mode de scrutin en vigueur, le scrutin majoritaire de liste à un tour, qui facilite l’accaparement frauduleux par le régime. Le PRD devenu MRD est donc le parti qui a la plus longue expérience électorale. Si, depuis les législatives du 10 janvier 2003, et avec le reste de l’UAD, nous avons opté pour le boycott des élections, c’est pour protester contre la fraude massive que pratique le pouvoir et qui lui permet à la fois de considérablement minorer nos scores réels et de réélire ses candidats. De ce boycott, nous avons, avec les autres membres de l’UAD, assorti de revendications de transparence électorale qui font partie des fameux 9 points. Ces revendications demeurent à ce jour ignorées, si l’on excepte la faible dose de proportionnelle (20%) que vient d’introduire le régime en vue des élections législatives. Nous en sommes là aujourd’hui, nous et les autres partis politiques d’opposition, à moins de trois mois des élections législatives prévues pour le 22 février 2013. Que faire alors pour que le prochain scrutin législatif traduise mieux la réalité politique du pays ? Tel est le sens de votre question. Tel est aussi ce que se demandent la majorité des Djiboutiens dont nous savons qu’ils rejettent ce régime. Je pense qu’il faut d’abord nous dire deux choses. La première chose est que nous n’avons pas opposé assez de résistance aux hold-up électoraux qui ont marqué les scrutins auxquels nous avons pris part. En participant à ces compétitions électorales notoirement truquées, nous avons, pour l’essentiel, montré au peuple djiboutien et au reste du monde notre bonne volonté démocratique. La seconde chose est que l’option du boycott s’est révélée infructueuse : nous n’avons pas réussi, malgré nos efforts, à imposer la transparence électorale ni à empêcher le viol de la Constitution et le troisième mandat du président Guelleh. Nous sommes aujourd’hui forts de cette double expérience qu’il nous appartient d’interroger pour construire une position crédible et donner une perspective aux Djiboutiennes et Djiboutiens. Cette position, je la conçois pour ma part en termes de vérité-action. Vérité, en disant aux Djiboutiennes et Djiboutiens que le président Guelleh refuse toujours la liberté et l’équité électorales, comme il l’a réaffirmé dans son allocution en langue somalie de l’Aïd-El-Adha (26 octobre 2012) et que confirme le faible niveau de la proportionnelle (20%). Il entend reconduire pour encore 5 ans et contre la volonté populaire sa chambre d’enregistrement d’Assemblée nationale, l’opposition (bien que largement majoritaire au pays) devant, dans son calcul, se contenter au mieux de quelques sièges. Vérité, en ajoutant que ce refus n’est pas une fatalité mais la simple décision d’un homme et de son entourage. Vérité, en soulignant que nous avons la force potentielle de faire prévaloir (par des moyens pacifiques) notre volonté de peuple sur celle d’un homme et de son entourage. Action, en relançant et en amplifiant la mobilisation populaire sur l’ensemble du territoire national. Action, en transformant cette mobilisation populaire en effort collectif soutenu pour faire échec au verrouillage électoral et anti-démocratique qui perdure depuis l’Indépendance du 27 juin 1977.
Le Renouveau Djiboutien :
Certains partis politiques de l’opposition ont déjà officialisé leur participation à ces élections. Cela montre que l’opposition dDjiboutienne part encore en ordre dispersé.
Daher Ahmed Farah :
Je ne pense pas que l’opposition soit réellement divisée sur la question de la participation aux élections. Certains partis d’opposition ont annoncé leur volonté de participation sans pour autant abandonner les conditions de transparence électorale, même si elles ne les ont pas énumérées. Le président de l’UAD, Ismaël Guedi Hared, a rappelé et mis en avant ces conditions, conditions collectivement formulées en 2004 par tous les partis d‘opposition qui ont ainsi exprimé leur volonté de participation puisque la revendication de transparence électorale n’a de sens que si elle est sous-tendue par la volonté de participer. Le problème de la participation est donc un faux problème. La vraie question que pose le contexte actuel de verrouillage politique à l’opposition, aux démocrates de la société civile comme au peuple djiboutien, est de savoir comment éviter un double piège: l’un consiste à cautionner une mascarade électorale par une participation relativement passive, l’autre à laisser le champ libre à la même mascarade électorale par un boycott relativement passif. En effet, le verrouillage anti-démocratique, en conséquence de quoi le régime est juge et partie, fait que la participation relativement passive, qui a été celle de l’opposition à travers la participation de bonne volonté, et le boycott relativement passif, que nous pratiquons à l’opposition depuis une dizaine d’années, produisent le même résultat: le triomphe de la mascarade électorale. De sorte que participation (relativement) passive = boycott (relativement) passif à Djibouti. Comme vous le voyez, un élément se retrouve dans les deux termes de cette équation: la passivité, notre passivité, quoique relative. La passivité, me semble-t-il, est l’élément égalisateur par le bas des deux options que nous avons jusqu’ici expérimentées. Il nous faut donc en finir avec la passivité en optant pour l’action soutenue et imaginative. Dans cet esprit, le contexte actuel nous fait obligation d’agir pour le déverrouillage électoral. Agir de la sorte nous permettra à la fois : 1) de montrer que nous ne sommes pas figés dans telle ou telle position électorale infructueuse mais capables de pro-activité, 2) de nous mobiliser résolument et pacifiquement sur le terrain pour arracher des changements déverrouillants et élargir ainsi la petite brèche dans le système que constitue la faible dose de proportionnelle introduite au mode de scrutin majoritaire de liste, brèche qui ne serait pas intervenue sans notre lutte, 3) d’être pris plus au sérieux par la communauté internationale, et 4) de participer à des élections législatives plus libres et plus transparentes que d’ordinaire. Avec le choix de la pro-activité à visée déverrouillante, l’opposition passera de la demande relativement passive à la revendication résolument active et soutenue, créant un rapport de forces favorable à des élections législatives dignes de ce nom et à des avancées démocratiques.
Le Renouveau Djiboutien :
Comme vous l’avez mentionné, le gouvernement djiboutien vient d’introduire une dose de proportionnelle applicable au scrutin législatif du 22 février 2013. Cela veut-il dire que l’opposition pourra siéger au Parlement ? Cela ne représente-t-il pas tout de même une première dans la vie politique djiboutienne?
Daher Ahmed Farah :
Comme je l’ai dit plus haut, il s’agit d’une petite dose de choix à la proportionnelle introduite dans le mode de scrutin majoritaire de liste à un tour qui est en vigueur pour les élections législatives. De 20%, cette petite dose de proportionnelle, adoptée par le conseil des ministres le 20 novembre 2012, est applicable aux prochaines législatives du 22 février 2013. Elle va concerner 13 sièges sur les 65 que compte l’Assemblée nationale. J’observe que cette mesure, pour nouvelle qu’elle soit, est d’une portée trop limitée.
Le Renouveau Djiboutien :
Vous venez d'effectuer une visite de travail aux États-Unis d’Amérique. Quels étaient les tenants et les aboutissants de cette visite ?
Daher Ahmed Farah :
Je me suis effectivement rendu au Canada et aux États-Unis d’Amérique pour une visite de travail qui s’est déroulée du 14 au 20 novembre 2012. Cette visite avait un double objectif : relancer la mobilisation de la diaspora djiboutienne dans ces deux pays et m’entretenir avec de hauts responsables américains à Washington de la situation préoccupante qui prévaut dans notre cher pays. Les Djiboutiens que j’ai revus et ou réentendus en cette partie du monde, m’ont donné l’impression d’être prêts à des efforts accrus de lutte. Quant à mes discussions avec les responsables américains, elles se sont déroulées de manière cordiale et dans un esprit constructif.
Le Renouveau Djiboutien :
Trois grandes puissances du monde, à savoir les États-Unis d’Amérique, la France et le Japon possèdent à Djibouti leur plus grande base militaire d’Afrique. C’est d’ailleurs la seule en Afrique pour les Américains et l’unique base à l’étranger pour le Japon. Cela montre, si besoin est, l’importance géopolitique de notre pays. Ne serait-il pas judicieux pour ces pays de soutenir le peuple djiboutien en quête de démocratie et de gagner ainsi les cœurs et les esprits plutôt que de risquer de se les aliéner?
Daher Ahmed Farah :
C’est une question qu’il serait plus pertinent de leur poser. Néanmoins, le fait est que le monde change autour de nous. Les évènements politiques majeurs survenus dans des pays où les peuples étaient perçus comme durablement résignés, en témoignent. En Tunisie, en Égypte ou ailleurs, les peuples se sont levés et ont reconquis leur liberté confisquée. Ils restent mobilisés pour veiller sur cette liberté retrouvée. Ce sont autant de leçons pour les peuples encore sous dictature tels que nous autres Djiboutiens comme pour le reste du monde, en particulier pour les pays partenaires des États concernés. Aussi nous appartient-il plus que jamais, à nous autres Djiboutiens, de nous rassembler et de réaffirmer haut et fort notre volonté de changement démocratique. Si nous relevons la tête, si nous engageons une action collective accrue, imaginative et résolue, ce qui implique que nous comptions d’abord sur nous-mêmes, le monde ne pourra plus nous ignorer. La balle est plus que jamais dans notre camp.
Le Renouveau Djiboutien:
Qu’attendent l’Afrique et en particulier le peuple de Djibouti de la réélection du président Obama?
Daher Ahmed Farah :
Le président Obama sait que l’Afrique a besoin, non d’hommes forts, mais d’institutions démocratiques fortes, comme il l’a si bien dit le 11 juillet 2009 dans son désormais célèbre discours d’Accra au Ghana. Son second mandat à la tête des États-Unis d’Amérique relance les attentes suscitées par ce brillant discours auprès des peuples africains qui luttent pour se donner des institutions démocratiques fortes, ce dont, me semble-t-il, le président Obama est conscient. En clair, c’est un soutien à leurs aspirations démocratiques que les peuples africains privés de liberté tels que celui de Djibouti, attendent du président Obama.
Le Renouveau Djiboutien :
Depuis que vous avez publiquement annoncé votre retour au pays, le régime de Guelleh semble encore davantage cibler et persécuter le MRD. D’ailleurs, certains medias internationaux commencent à vous décrire comme le «seul opposant craint par le pouvoir». Qu’en dites-vous ?
Daher Ahmed Farah :
Ce que je peux dire c’est que le PRD devenu MRD et son président que je suis dérangent le régime. Pourquoi ? Parce que, tout simplement, nous avons des convictions et que nos consciences ne sont candidates ni au ralliement du ventre ni à la résignation mais cultivent le rassemblement salvateur. Parce que nous sommes sincères, que nous n’avons pas de comptes personnels à régler avec qui que ce soit et que seul nous importe l’intérêt général. Parce que nous sommes actifs et persévérants, comme l’a d’ailleurs reconnu le président Guelleh lui-même dans une interview à ses amis de Jeune Afrique fin 2011.
Le Renouveau Djiboutien :
Le RPP (Rassemblement populaire pour le progrès), parti au pouvoir depuis plus de 35 ans, vient d’être remanié avec la propulsion de jeunes obligés à sa tête. Ce parti unique peut-il trouver là un second souffle ?
Daher Ahmed Farah :
Vous savez, s’il suffisait de remplacer tel obligé par tel autre pour régler les problèmes du pays et redorer le blason du RPP, cela se verrait depuis longtemps. Depuis sa création en mars 1979, le RPP a connu de multiples remplacements dans son comité exécutif. Les titres de vice-président et de secrétaire général ont, à plusieurs reprises, changé de porteurs, sans que cela ne tire à conséquence en termes de bonne gouvernance et d’avancées démocratiques. Ce qui est en cause, c’est le mode de gouvernement dont le RPP est l’instrument, mode de gouvernement fondé sur la prédation et la répression. Ce qui est en cause, c’est la culture commune qui anime les membres du régime, qu’ils soient jeunes ou moins jeunes. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le président du RPP, qui n’est autre que le chef de l’Etat, Ismaël Omar Guelleh, demeure aux commandes. Loin d’être une solution, la cooptation de jeunes obligés comme ministres ou membres du comité exécutif du RPP, risque d’accroître les dégâts. Pourquoi ? Parce que, chez ces jeunes, l’appétit négatif qu’encourage le régime, s’aggrave de leur énergie juvénile, comme le montre le comportement affligeant de nombre d’entre eux.
Le Renouveau Djiboutien :
L’échiquier politique de la sous-région vient de connaître deux événements avec le décès du premier ministre éthiopien, Feu Meles Zenawi, et l’élection d’un nouveau président somalien en la personne d’Hassan Sheik Mahamoud. Qu’en pense-vous ?
Daher Ahmed Farah :
Il est vrai que l’Ethiopie, grand pays de la région et de loin notre premier partenaire économique, entre dans l’après-Meles Zenawi, même s’il est trop tôt pour se risquer à dire dans quel sens. Espérons que les nouveaux dirigeants sauront relever les défis considérables liés aux réalités de leur pays et que cela contribuera à apaiser notre sous-région. Pour ce qui est de la Somalie, je ne peux que souhaiter au nouveau président, Hassan Sheik Mahamoud, plein succès dans sa volonté de soulager les souffrances de son peuple très meurtri et de remettre l’Etat sur les rails.
Le Renouveau Djiboutien :
Une avant-dernière question, Monsieur le président, qui a un rapport avec ce combat politique que vous menez depuis plus deux décennies au sein et à la tête du PRD devenu MRD. C’est un combat long et difficile, qui impose toutes sortes de sacrifices. Ne vous arrive-t-il pas de vous décourager, de douter ?
Daher Ahmed Farah :
C’est effectivement un combat long et difficile que je mène avec mes camarades de parti depuis plus de vingt ans, depuis ce jour de septembre 1992 où nous avons fondé le PRD devenu MRD en novembre 2002. C’est un combat de conviction, à plein temps, et qui est d’autant plus exigeant que nos moyens sont limités. Vous l’imaginez aisément, cela impose des sacrifices, à moi-même comme à tous les miens, des sacrifices multiples et sans fin puisque la lutte continue. Cependant, j’ai la chance de compter sur une famille solide et sur un parti non moins solide, sur des femmes et des hommes de grande conviction dont je salue ici la contribution courageuse et constante à la cause démocratique nationale. Aux uns comme aux autres, je renouvelle mon affection et mon admiration. Bien entendu, il m’arrive de connaître des moments de lassitude, c’est humain, mais je m’interdis d’y céder. Je me l’interdit en pensant à ces centaines de milliers de Djiboutiens malmenés par le déni de liberté et de vie décente, à cette grande majorité de Djiboutiens qui ne mangent point à leur faim ni ne boivent à leur soif, à ces milliers de malades sans assistance médicale, à cette jeunesse privée de rêves et exposée à tous les risques, à ces concitoyens des quartiers populaires qui meurent tragiquement au contact de l’énergie électrique tant recherchée, à toutes ces victimes d’exactions au nord comme au sud du pays, bref à notre triste sort collectif. Combattre (d’une manière ou d’une autre) pour la liberté, la justice et le progrès, est un devoir pour tout Djiboutien qui se respecte. C’est notre seule voie de salut et de dignité.
Le Renouveau Djiboutien :
Ces énormes sacrifices, ces vies sacrifiées, surtout la vôtre, pense-vous que les Djiboutiens les reconnaissent suffisamment ?
Daher Ahmed Farah :
Je ne recherche pas la gloire à travers ce combat, ma lutte est de conviction. Cependant, je pense que les Djiboutiens ne sont ni ingrats ni aveugles. Ils sont sensés et jugent sur les actes, de sorte qu’ils savent qui les sert et qui les dessert, qui s’anime d’une simple ambition de pouvoir et qui porte un projet national de société, qui les aime ou non... Les Djiboutiens sont à mes yeux un peuple bon, qui ne demande qu’à vivre et à prospérer dans la liberté, la dignité, la justice et le progrès. Je le dis d’expérience.
Le Renouveau Djiboutien :
Nous arrivons à la fin de notre entretien, Monsieur le président. Le peuple djiboutien, je vous l’accorde, c’est cette mère de famille qui se lève à trois heures du matin dans l’espoir de recueillir quelques gouttes d’eau au robinet; c’est ce médecin ou cette sage-femme qui ne sont pas en mesure de soigner les malades faute d’électricité ou de moyens médicaux; c’est encore cette jeunesse djiboutienne qui se voit dénier ses droits les plus élémentaires tels que le droit à l’éducation, le droit à la santé, le droit à un emploi ou le droit à l’épanouissement dans un cadre démocratique. Le pays, c’est encore ces nombreux Djiboutiens arbitrairement détenus dans les geôles du régime. Bref, les Djiboutiens souffrent massivement. Et le principal responsable, pour ne pas dire l’unique, de cette misère, c’est bien sûr la mal-gouvernance qui perdure depuis plus de 35 ans. Avez-vous un message particulier à dire à ce peuple en détresse ?
Daher Ahmed Farah :
Au peuple djiboutien, j’exprime toute mon affection, toute ma tendresse et tout mon respect. A son service, je renouvelle tout mon engagement. Je lui redis aussi la vérité : la solution est en nous. Convainquons-nous-en une bonne fois pour toutes. Elle est dans notre confiance en nous, dans notre action collective, dans notre imagination, dans notre détermination. Aidons-nous et Allah nous aidera.
Au président Ismaël Omar Guelleh, je propose un effort d’introspection et de volonté positive, car il n’est jamais trop tard pour bien faire. Concitoyen, ne suivez point la voix de la peur qui bloque ou de l’orgueil qui braque. Au lieu des égoïsmes de votre entourage, faites droit aux aspirations démocratiques de votre peuple. Ouvrez-vous aux appels de la sagesse. Demandez-vous quel souvenir d’État laisser, car, comme tout mortel, comme nous tous, vous ne serez plus demain. Votre âge vous invite à cet effort d’introspection. La tradition djiboutienne aussi.
Le Renouveau Djiboutien :
Merci, Monsieur le président.
Daher Ahmed Farah :
C’est moi qui vous remercie.