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28 mai 2013 2 28 /05 /mai /2013 12:58

Lu pour vous

 

« Politique africaine, dossier « Justice et réconciliation ; ambiguïtés et impensés »

Lydia Samarbakhsh-Liberge

Cahiers d'études africaines [En ligne], 173-174 | 2004, mis en ligne le 08 mars 2007.

URL : http://etudesafricaines.revues.org/4705

  1. Politique africaine nous propose une réflexion à plusieurs voix sur les expériences de justice transitionnelle, menées dans quatre pays africains ayant traversé de longues périodes de conflits politiques meurtriers : l’Afrique du Sud, la Sierra Leone, le Rwanda, le Burundi.
  2. Les auteurs ont voulu aborder l’étude des différents dispositifs testés sans réitérer les analyses centrées sur les aspects cathartiques ou thérapeutiques, ni porter eux-mêmes de jugement ou dresser de bilan définitif de ces expériences, mais en cherchant à « souligner les points aveugles du discours international qui instaure et légitime » ces modes de résolution ou sortie de conflits avec, pour but ultime, la « réconciliation ».
  3. Il s’agit d’interroger les contradictions et paradoxes des discours qui sous-tendent et/ou nourrissent des pratiques et des conceptions mise en place sous l’influence d’intervenants extérieurs (que ce soit des ong ou des États). Élaborées selon des objectifs locaux et organisées au gré de contingences particulières, ces initiatives ont souvent été appréciées plus positivement à l’étranger que dans le cadre national concerné. L’exemple de l’Afrique du Sud est à cet égard intéressant à examiner, replacée dans un contexte international qui a évolué entre sa création (sortie de la Guerre froide) et la fin de ses travaux (« l’après-11 septembre »).
  4. Le coordinateur du dossier, Roland Marchal, qui voit dans la création de la Cour pénale internationale, des cours spéciales ou encore des commissions ad hoc, au cours de ces vingt dernières années, une « avancée dans le jugement des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité », s’interroge sur l’avenir de tels dispositifs dans un contexte mondial marqué par une volonté américaine de maîtrise hégémonique et unilatérale des rapports internationaux.
  5. La dissonance d’appréciation des commissions vérité — nous dirons, d’une part magnifiées et érigées en modèles par des instances internationales, d’autre part critiquées voire remises en cause dans leur propre pays — a appelé l’attention des auteurs.
  6. Les deux articles mettent chacun en exergue plusieurs éléments significatifs d’une problématique générale : « Dans quelle mesure la consolidation de la paix et la réconciliation auraient-elles pu se concilier avec la justice ? [et] en fonction de quels critères (de justice abstraite, de conjoncture politique), la réponse aurait-elle dû être formulée ? »
  7. Les regards et appréciations contradictoires des acteurs ou populations concernées, et, des observateurs, commentateurs voire soutiens internationaux rendent compte d’une tension irréductible entre des objectifs qui entendent être atteints par les mêmes moyens alors qu’ils ne concernent pas les mêmes « terrains ».
  8. Ainsi les contours, les conditions et la mise en œuvre de la « réconciliation nationale » obéissent à des dynamiques propres à chaque contexte, à des « spécificités locales » et « s’inscrit dans l’histoire » du conflit même qu’elle est destinée à résoudre.
  9. De ce point de vue, l’expérience sud-africaine, dont l’article d’André du Toit permet d’en bien saisir les étapes successives et les glissements d’objets et d’enjeux, montre en quoi l’activité — mais surtout l’aboutissement — de ces processus de justice transitionnelle demeure fragilisée par l’équilibre précaire sur lequel ils reposent. Cette précarité provient en particulier du haut niveau d’exigence que suscite un tel dispositif de règlement de conflit dans les populations particulièrement mobilisées par une demande de « justice » et le niveau relatif de « résultats » en la matière produits par la Commission. Ces attentes que certains auteurs du dossier qualifient — sans doute trop rapidement — « d’immenses et irréalisables » viennent heurter un projet qui serait trop consensuel. Mais le consensus ne serait-il pas admis par ces acteurs s’ils avaient vécu l’expérience qu’une partie, la plus fondamentale, de leur demande était entendue ?
  10. Le cas de la Sierra Leone (Aude-Sophie Rodella) permet peut-être d’envisager une évolution possible du dispositif initialement testé au Chili et en Afrique du Sud où, à des degrés divers et avec des résultats également à distinguer (il n’y eut pas d’amnistie générale en Afrique du Sud) — ce dispositif s’est résumé à l’établissement de structures ad hoc et d’un cadre censés répondre aux enjeux politiques de « réconciliation nationale ». La Sierra Leone s’est d’emblée dotée d’une Cour spéciale habilitée à « juger les plus responsables », rétablissant un certain équilibre (?) sur le terrain de la justice. Une solution « hybride », pour reprendre le terme de l’auteur, permettant sans doute de traiter distinctement, mais dans un même élan, le besoin de justice et l’exigence de paix.
  11. Les articles sur le Burundi (Christine Deslaurier) et le Rwanda (Danielle de Lame) abordent plusieurs problématiques sous-jacentes à la problématique générale énoncée. En particulier, celle de la réinvention de traditions et leur instrumentalisation dans un contexte politique prônant la mise en œuvre d’une justice « participative » censée permettre à la population de conduire enquête et procès sans l’assistance d’un magistrat.
  12. Concomitante à cette réinvention (présentée comme une « redécouverte » dans les pays concernés), est la problématique des rapports post-coloniaux et du règlement de la dette coloniale. Comment les génocides de 1994, mais surtout la nécessaire entreprise de pacification du pays, ont-ils dans les représentations respectives de l’État rwandais et de l’État belge, représenté, pour le premier, une occasion de s’exempter de toute responsabilité, et pour l’autre, une opportunité d’envisager désormais un avenir commun avec son ancienne colonie ? Les excuses officiellement présentées par la Belgique lors de la cérémonie du 7 avril constituent certainement un argument de plus pour D. de Lame.
  13. Le parti pris des auteurs du dossier est, certes, de souligner lesdites limites et d’alerter sur leurs carences mais aussi de mettre en évidence les spécificités et les caractéristiques de chaque contexte géopolitique qui pourrait déboucher dans chaque cas sur une re-formulation du dispositif.
  14. Outre les contradictions entre les perceptions et les analyses internes et externes, plusieurs séries d’autres dissensions et dichotomies posent question :
  15. - les contradictions des propres objectifs assignés aux commissions ou aux cours pénales ;
  16. - la dépendance vis-à-vis de puissances étrangères ou d’organismes internationaux, les mêmes qui ont le plus souvent permis à ces dispositifs de fonctionner (j’ajoute : difficultés réelles, voire blocages, lorsque ces instances ont eu à traiter de l’implication des États étrangers dans les conflits nationaux ; les exemples de la France ou des États-Unis et leurs rapports avec les services secrets sud-africains pendant l’apartheid — assassinat de Dulcie September ou d’Olof Palme sont éloquents…) ;
  17. - les contradictions appuyées entre « modernité » (figurée par l’injustice et le crime) et recherche d’« authenticité »/« tradition » (imaginée comme parfaite, harmonie, justice) ;
  18. - les contradictions rencontrées dans l’exercice même du pouvoir : transition démocratique et dispositif judiciaire adopté dans un cadre démocratique.
  19. Compte-tenu de l’attitude hostile des États-Unis, ces expériences et instances seraient-elles vouées à devenir une justice qui ne s’appliquerait qu’aux pays les plus faibles ? Une justice qui, au final, prendrait le risque de remettre en cause leur souveraineté et de devenir une justice de « vainqueurs » ? Le débat ouvert par ce dossier mérite, il est vrai, d’être approfondi.
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