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25 avril 2008 5 25 /04 /avril /2008 16:48

24/04/08
Siméon Francis Ekoga

 

Le Gabon est entré, ces dernières années, dans une grave crise politique et morale, caractérisée par deux traits majeurs: La négation du politique et la privatisation de l'État.

 

De 1968 à 1990, il y avait de la « Politique », autoritaire et personnalisée, alternant ensuite avec des périodes d’accalmie et des périodes de répression, mais  de la « politique », c'est-à-dire l'art de gérer institutionnellement les conflits entre acteurs et d'en maîtriser les mécanismes afin de préserver la pérennité de l’Etat.

 

De nombreux gabonais se sont opposés à cette politique : certains de l’intérieur du régime, essuyant de longues périodes de disgrâce ; d’autres, de l’extérieur, en subissant torture et emprisonnement. A la faveur de ces luttes, le sursaut démocratique et pluraliste s’est opéré au sein de la société gabonaise.  

 

Pluralisme politique inachevé.

 

C’est le combat des démocrates de diverses sensibilités qui a fait fléchir le régime de l’autocrate Bongo.

 

De multiples journaux indépendants ont pu ainsi fleurir, des associations indépendantes s’épanouir, et des partis politiques acquérir une audience réelle et organiser de véritables débats.

 

Ce pluralisme politique est malheureusement resté inachevé ; il n'a pas atteint les institutions officielles représentatives. Il n’empêche qu’il y avait, au moins à l'échelle de la société civile, une vie politique.

 

La situation a changé.

 

La politique, cet art majeur qui consiste à réguler le vivre-ensemble consensuel/conflictuel est désormais « interdite » par le pouvoir gabonais. Le régime actuel connaît une dérive sans précédent :

 

·        un pouvoir personnel absolu poussé à l'extrême,

·        un populisme démagogique qui infantilise le peuple et ses élites,

·        un dépouillement des institutions constitutionnelles, politiques et professionnelles de tout contenu au point qu'elles sont toutes devenues des instruments dociles aux mains du pouvoir d'un seul,

·        un étouffement de la société civile,

tous annonciateurs de dangers extrêmes.

 

L'expression de la différence est bannie, les libertés confisquées, l’audio-visuel monopolisé, la presse d’opinion bâillonnée.

 

La presse du pouvoir, produit de la propagande à la gloire du « grand timonier », est de plus en plus utilisée comme support de désinformation, puis de calomnies à l'encontre des opposants et des insoumis.

 

Les partis politiques reconnus sont satellisés ou marginalisés et les autres partis systématiquement réprimés voire interdits.

 

Les rares associations représentatives de la société civile font l’objet d’un harcèlement permanent, et certains de leurs adhérents agressés physiquement par les forces de l’ordre. La répression frappe même, dans certains cas, les membres de leurs familles.

 

Certains gabonais sont contraints à l’exil. La torture est une pratique courante dans les locaux de la police, dans ceux de la DGR (direction générale des recherches), du B2 (contre ingérences, renseignements militaires)  et dans les prisons.

 

Quant aux citoyens, ils sont désormais habités par la peur et la terreur. Ils se sentent pris dans les mailles du filet d'un vaste appareil de surveillance : le dispositif policier, les « cellules des services secrets », les « comités de quartier », les écoutes téléphoniques, et le contrôle du courrier. S’ils n'admettent pas la servilité, ils courent alors le risque de la mise au chômage s'ils sont salariés et du redressement fiscal abusif s'ils sont industriels, artisans, commerçants ou membres de professions libérales.

 

La jeunesse est écrasée.

 

Elle n'a plus de lieux pour déployer son énergie, sa générosité, sa créativité et ses rêves. Tous les espaces où elle peut communiquer, produire de la pensée, de l’imagination, de la solidarité et de l’action militante sont « interdits », mieux, inexistants ; toutes les aires où elle peut faire son apprentissage de la citoyenneté font désormais défaut. Il serait particulièrement grave pour le Gabon et pour son peuple que la jeunesse soit maintenue plus longtemps dans un statut d’infériorité, sous le joug d’une peur qui l’éloigne de son droit à se prendre en charge.

 

Le Gabon a connu un développement économique non négligeable.

 

Il reste que les investissements intérieurs et extérieurs ne se situent pas à des niveaux satisfaisants se répercutant ainsi négativement sur l'emploi. Ces faiblesses, malgré un environnement institutionnel, juridique et financier a priori stimulant, sont en fait dues à l'absence de confiance des investisseurs dans l'avenir du pays. Celle-ci se nourrit également de l'opacité qui caractérise le fonctionnement de quelques secteurs économiques, des interférences incongrues de certains cercles privés proches du pouvoir, et d'un manque de transparence dans les opérations de privatisation des entreprises publiques.

 

L’absence de liberté de presse et de garanties d’indépendance de la justice, le clientélisme et la corruption sont aujourd’hui les principaux freins à un développement plus important et plus rapide dont les gabonais sont parfaitement capables.

 

Un Etat de non-droit

 

Cette dérive inexorable vers l’Etat de non-droit est dramatique. Les nouvelles  « règles », qui régissent ce qui tient lieu de politique sont à l’intérieur du régime/forteresse  : au sommet de l'Etat, le recrutement de type administratif de techniciens, dociles et sans autre point de vue que celui du Président. A l'égard de la société politique, toutes tendances confondues, ne prévaut que la règle selon laquelle " celui qui n'est pas avec moi est contre moi ". Et les seuls moyens de régler les différends politiques oscillent entre contrainte morale, coercition physique et punition financière. L’opposition au régime est qualifiée de trahison, signifiant la confusion entre l’intérêt général de la nation et les intérêts personnels des gouvernants.

 

Dans ces conditions, le débat public rationnel sur la base de la liberté et du respect mutuel est inexistant.

 

De nos jours, l’Etat de non-droit étend son emprise sur tous les domaines. Ses rouages, qu'ils soient ceux veillant au maintien de l' « ordre » - administration, police et justice - ou ceux véhiculant sa propagande sous couvert d’ « information », sont enrôlés et impliqués à grande échelle dans une vaste entreprise d'appropriation privée, de privatisation de l'Etat.

 

Inaugurée et exercée par Bongo lui même, la confusion entre la fonction du Chef de l'État et la personne de son titulaire prenait sa racine dans la direction charismatique d'un leader qui pouvait prétendre à une légitimité historique, surestimée mais réelle. En totale contradiction avec l'esprit républicain, elle avait malheureusement abouti à une gestion paternaliste du pouvoir politique. Aujourd'hui, s'est opéré un autre glissement : au pouvoir paternaliste s'est substitué un pouvoir patrimonial ; le père jaloux pour ses enfants a laissé la place au fils jaloux de son bien, le Gabon. Cette " privatisation " de l'Etat a vu la chose publique passer de la gestion autoritaire mais institutionnelle, au bon plaisir, à l'humeur, à l'influence et aux intérêts de cercles privés et informels, liés au Palais.

 

Il est grand temps de restituer à la politique sa dignité, et à l’Etat son caractère public et anonyme ; en somme, rendre l’Etat à l’Etat.

 

La négation du politique et la privatisation de l’Etat

 

Les deux traits majeurs caractérisant le régime actuel, la négation du politique et la privatisation de l’Etat, sont les effets d’un système politique qui n’a fait que se détériorer, condamnant le régime à « une fuite en avant ».

 

Le pouvoir a mis en place un dispositif sécuritaire et juridique autoritaire qui a survécu à ses initiateurs.

 

Politiquement, et assez rapidement, sous le prétexte de sauvegarder l’unité nationale dans un pays qui ne connaît pourtant pas de clivages ethniques ou religieux, a été instauré un parti prédominant, le PDG (parti démocratique gabonais) facteur de « désunion » et consolidant un Gabon d’en haut pour les nantis et un Gabon d’en bas pour les « makayas », ce peuple démuni, spolié  et abusé.

 

Le régime gabonais, un système fermé, arbitraire et confus.

 

Il s’est mis en place ce système fermé. Il remplace le choix libre des dirigeants par la cooptation, compte sur la force plus que sur la concertation et impose le pouvoir personnel à l'institution étatique. Commence alors le déclin du politique qui débouche sur le triptyque : un Homme - un État - un Parti.  Régime de fait, il sera formellement consacré par le droit.

 

La Constitution gabonaise instaure un régime de séparation des pouvoirs et garantit les libertés publiques. Mais elle a cédé au domaine de la loi le soin de fixer les modalités des principes qu’elle a posés. Avec la complicité initiale des uns et la résignation des autres, le législateur a trahi les idéaux pour lesquels les  « pères fondateurs » ont combattu et la pratique politique et administrative a aggravé cette dérive.

 

Les constituants ont instauré un régime de nette séparation des pouvoirs. Mais, dans les faits, le Président de la République contrôle le parlement à travers le parti. Car les candidats du parti, dont l’administration régionale garantit leur élection à une majorité,  sont choisis par le bureau politique présidé par le Chef de l’Etat.

 

Le pouvoir judiciaire n’est pas non plus indépendant. D’abord, le principe de l’inamovibilité des magistrats n’a jamais été posé. Les juges peuvent à tout moment être mutés. Ensuite, leur carrière est décidée par un conseil supérieur de la magistrature dont la majorité des membres sont nommés par l'exécutif. Dès lors, la Constitution a beau proclamer que la justice est indépendante, cette affirmation ne correspond à aucune réalité.

 

La Constitution garantit toutes les libertés publiques fondamentales et, en apparence, la loi ne fait qu’en fixer les modalités d’exercice. Ainsi, la publication des livres et des journaux et leur importation sont théoriquement libres. Ils ne sont pas soumis à la censure ni à une autorisation préalable. Ils sont simplement soumis à un dépôt légal. Ce régime s’applique à tous les imprimés, même une simple affiche électorale. Il en est de même des réunions publiques et de la constitution d’associations et de partis politiques. Mais, les autorités politiques ont inventé des obstacles administratifs tels, que l’exercice de toutes ces libertés est bloqué.

 

La libéralisation sur l’économie, n’a jamais concerné la vie politique. Au cours de cette période, le système clos du pouvoir personnel de Bongo s'est définitivement imposé au détriment de tous, ses compagnons de lutte et ses opposants. Il a été verrouillé. Le propre de la République, n’est-il pas l'alternance au pouvoir consacrée par le suffrage populaire et non par la falsification des élections et l'autolégitimation par des scores mythiques, comme ce fut le cas jusqu’en 1990, en fait durant la période du parti unique. Au cours des années quatre-vingt, la soif de liberté était telle que la dictature n’était plus viable, la situation était explosive.

 

Passer d'une légitimité personnelle et charismatique qui s'est érodée, à une légitimité démocratique, seule à même de gérer les tensions sociales sans endommager les équilibres sociaux, devenait une urgence nationale. Cette lame de fond a préparé le terrain au Chef de l'État pour conserver son pouvoir et taire toute contradiction. La déclaration des accords de Paris reprenait, presque mot pour mot, les revendications de la conférence nationale des années 1990. Ces revendications ont été, dans un premier temps, partiellement réalisées, dans un second temps, oubliées et, enfin, actuellement, ouvertement trahies.

 

Progressivement, nous sommes aux vieilles méthodes que nous pensions révolues. Il n’y a plus de liberté. La machine de la répression au service du régime gabonais (les forces de défense et de sécurité), dont les effectifs ont été démesurément augmentés, est toute puissante et omniprésente.

 

Un changement radical est nécessaire.

 

Restituer à la politique sa dignité et revenir à l'État de droit impliquent une modification dans la vision de la politique et une véritable réforme du fonctionnement de l'État et des institutions. Le Gabon en a un besoin urgent pour trois raisons fondamentales.

 

La première qu’il faut réaffirmer avec force est que le pays, pour l'indépendance duquel nombreux parmi les meilleurs de ses enfants ont sacrifié leurs vies, échoit à tout notre peuple en partage. Dans cet esprit, il n'appartient à aucune personne, quel qu'en soit le génie, à aucun parti quel qu'en soit la légitimité ou l'antécédence, à aucun clan si puissant soit-il, et a fortiori à aucune famille, de faire de ce bien commun, légué par les morts aux vivants, un patrimoine privé. De ce fait, l'avenir de le Gabon, pour lequel nous sommes en devoir de nous inquiéter, est une responsabilité collective dont nous serons, tous, comptables devant les générations futures.

 

La seconde est de rappeler à la conscience de tous que les conflits politiques se règlent pacifiquement, par des moyens politiques. Il est inacceptable de continuer à les traiter par les emprisonnements, la torture, les insultes, le harcèlement et la coercition. Le pouvoir a pris la fâcheuse habitude de régler les conflits politiques par la contrainte illégitime.

 

La troisième raison est que, maintenant plus que jamais, la légitimité ne peut être acquise par la contrainte, la manipulation des règles de la compétition et le mépris du peuple, mais par les élections libres et transparentes. Le monde a changé. Il est temps d’étancher la soif de notre peuple pour la démocratie, le pluralisme, la liberté et la justice.

 

Le Gabon, ancré dans une histoire glorieuse, est telle que les fondateurs de la République l'ont pensée, inscrite dans la modernité et ouverte au monde, conditions premières du progrès et du bien être. Ils se sont adossés à une légitimité patriotique réelle pour se permettre plus de pouvoir qu’il n’en fallait. Aujourd'hui, celle-ci est érodée, usée, en dépit du rituel de la référence incantatoire à leur lutte héroïque. Car l'unanimisme en politique est une supercherie inventée par la tyrannie, contraire à la nature humaine, qui est par essence libre, diverse et réfractaire à toute allégeance perpétuelle.

 

Besoin urgent d’une transition démocratique au Gabon

 

Le Gabon, dont le peuple est ouvert et tolérant, disposant d’une classe moyenne importante et qui, grâce au labeur de ses enfants, connaît un développement économique non négligeable malgré le pillage de ses richesses par une minorité qui dirige le pays, a un besoin urgent d'une transition démocratique que nous souhaitons pacifique et négociée, la seule à même de nous faire sortir de l'impasse actuelle et d'épargner au pays, à bout de patience, de tomber désespérément dans une violence incontrôlable qui lui ferait perdre ses acquis. Le Gabon, riche d'une élite fortement éduquée, dispose de la structure sociale adéquate et des ressources intellectuelles nécessaires pour être fidèle à sa tradition d’ouverture, de réformisme et de constitutionnalisme.

 

Le souffle de liberté et de démocratie a été dévoyé, trahi, bafoué par les gouvernants actuels. Cependant, il anime la conscience de notre peuple et est notre repère. Il est notre lien avec notre histoire, notre ciment. Il est l'expression de notre fidélité et de notre gratitude au combat des générations de réformateurs qui ont œuvré pour la renaissance de notre pays. Nous nous en prévalons pour dire qu'il est des moments d'une exceptionnelle gravité dans l'histoire des nations et qu'à ne pas savoir les saisir, à ne pas les mettre à profit, les peuples entrent en régression durable.

 

Aujourd'hui, le Gabon est à la croisée des chemins. Si la chape de plomb se perpétue, nous irons vers une présidence à vie, ou l’instauration d’une « monarchie » de fait ce qui, d’une manière déguisée, ouvre la voie à tous les désordres dont le Gabon n’a pas besoin, et cela se déroulera certainement dans des conditions plus douloureuses et plus dramatiques. Si, au contraire, sous la pression des forces patriotiques, la raison finit par prévaloir, les gabonais seront en mesure d’offrir à leurs enfants un pays dans lequel ils seront délivrés de la peur et de la tyrannie, un pays où ils pourront donner libre cours à leur générosité et à leurs potentialités créatrices.

 

Il ne nous reste plus qu’à espérer qu’aucun pouvoir ne dure mille ans et que le règne des incompétents à la tête de notre pays prendra fin très bientôt.

 

Que Dieu bénisse le Gabon et veille sur tous ses habitants.

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