8 octobre 2008
Source : IRIN
Pauvreté endémique au « Koweït de l’Afrique ».
Une dictature dont personne ne parle
Des enfants attendent l’arrivée quotidienne de l’eau, à un point d’eau public de Malabo.
Selon les estimations des Nations Unies, moins de la moitié de la population a accès à l’eau potable La Guinée équatoriale est un des 30 plus grands producteurs de pétrole du monde, selon son ministère des Mines, mais d’après Global Witness, organisme de surveillance de la corruption, la plupart des habitants de ce pays vivent encore dans la pauvreté.
« La Guinée équatoriale est la dictature dont personne ne parle. Le gouvernement empoche des milliards chaque année grâce au pétrole, pourtant 60 pour cent de la population vit avec moins d’un dollar par jour », a expliqué à IRIN Sasha Lezhnev, conseiller de Global Witness en matière de politiques, qui exerce aux Etats-Unis.
Selon M. Lezhnev, le gouvernement n’a pas dévoilé où il conservait plus de deux milliards de dollars de revenus nationaux, placés à l’étranger, dans des banques privées.
« Cela soulève de sérieuses questions quant à l’engagement du gouvernement en faveur de la transparence », a indiqué M. Lezhnev. Selon la Banque des Etats de l’Afrique centrale, la Guinée équatoriale a vendu 1,8 milliard de barils de pétrole en 2007 pour 4,3 milliards de dollars, soit environ 90 pour cent de l’économie du pays.
Exxon Mobil a découvert l’un des premiers gisements importants au large des côtes de Bioko, l’île où se trouve Malabo, la capitale, en 1992 ; de ce gisement proviennent aujourd’hui quelque 75 pour cent de la production pétrolière du pays.
La Guinée équatoriale affichait un des 60 revenus par habitant les plus élevés du monde en 2007 (environ 20 000 dollars), selon la Banque mondiale.
Mais les estimations en matière de revenus par habitant varient sensiblement en fonction des statistiques démographiques, qui, selon les organisations internationales, ont été manipulées par le gouvernement en 2001, pour des raisons électorales. Les chiffres varient de 600 000 habitants à plus d’un million.
Quoi qu’il en soit, les revenus nationaux restent au moins 10 fois plus élevés que ceux des pays voisins d’Afrique subsaharienne.
Accès limité à l’emploi
Toutefois, selon bon nombre d’habitants, pour profiter de la production pétrolière, il faut se montrer fidèle au parti au pouvoir dans ce « Koweït de l’Afrique », ainsi que certains habitants nomment les îles équato-guinéennes riches en pétrole.
L'immeuble de la compagnie pétrolière nationale
« Pour pouvoir travailler dans les compagnies pétrolières », a expliqué Ramon Riloha, « il faut présenter une carte de membre du Parti démocratique de Guinée [parti du président au pouvoir]. Je ne travaille plus depuis que le parti a découvert en 2003 que je n’étais pas membre ».
Antonio Otogo a expliqué à IRIN qu’il n’avait pas trouvé d’emploi depuis 18 ans. « J’étais fonctionnaire. Aux élections multipartites de 1991, j’ai rejoint les rangs du Parti du progrès [parti d’opposition légalisé en 1997]. Depuis ce temps, je n’ai pas réussi à trouver d’emploi, même dans le secteur privé. Je suis traité comme un ennemi du pays ».
Pas de photos dans les bidonvilles
Selon les estimations du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), moins de la moitié de la population a accès à l’eau potable, et 20 pour cent des enfants meurent avant l’âge de cinq ans.
Le coût moyen d’une consultation médicale est d’environ 60 dollars, alors même que le salaire minimum mensuel, fixé par le gouvernement s’élève à seulement 186 dollars. « Le pétrole n’a fait que nous rendre encore plus pauvres », selon Antonio Buecheku, fermier de l’île de Bioko.
« Regardez où nous vivons : dans des cabanes sans eau ni électricité », a ajouté son voisin Juan Mba, fonctionnaire, qui vit dans le bidonville de New Building, à Malabo. « Avant l’apparition du pétrole, on vivait bien sans que les nouveaux riches nous narguent avec leurs nouvelles richesses ».
Il est interdit aux journalistes internationaux de prendre des photos dans les centaines de bidonvilles de la capitale et des alentours sans une accréditation spéciale, délivrée par le gouvernement.
Les habitants des bidonvilles ont agressé des journalistes locaux qui tentaient de prendre des photos, détruisant leur matériel. « Les gens qui vivent dans la misère ne veulent pas qu’on les prenne en photo », a expliqué un journaliste de la région.
Un bidonville de Malabo, la capitale
Liman Kiari Tinguiri, directeur pays des Nations Unies, a déclaré à IRIN en juillet 2008 que la « croissance économique massive de 16 pour cent, observée ces 15 dernières années » n’avait guère permis de réduire la pauvreté des populations des îles.
« Le pays est encore classé parmi les pays les moins avancés […] il affiche un des taux de mortalité infantile les plus élevés [206 sur 1 000]. En termes de développement humain, il y a encore beaucoup de progrès à faire ».
Corruption
Selon un économiste du gouvernement, qui a requis l’anonymat, le pays souffre du syndrome hollandais, phénomène économique par lequel l’augmentation des revenus pétroliers entraîne l’augmentation de la corruption et le déclin du secteur manufacturier.
Selon l’Indice 2008 de perception de la corruption publié par Transparency International, la Guinée équatoriale est le huitième pays perçu comme le plus corrompu au monde.
« Le pays présente des symptômes du syndrome. La gestion et la répartition des revenus pétroliers est le principal problème », a estimé l’économiste, qui prévoit « un système de pillage et de monopolisation des ressources, la progression de la corruption […] un phénomène d’améliorations publiques inutiles, et finalement, les conditions susceptibles de provoquer une instabilité politique, voire un conflit armé ».
Carlos Nsue, vice-ministre de l’Environnement, a toutefois écarté le scénario apocalyptique selon lequel l’exploitation de ces richesses pétrolières pourrait mal tourner : « Comme dans tous les pays du monde, il n’est pas facile de lutter contre la corruption. [Mais] nous travaillons depuis plusieurs années avec la Banque mondiale pour adhérer à l'Extractive Industries Transparency Initiative [Initiative de transparence des industries extractives] en vue de renforcer la crédibilité de notre pays auprès des bailleurs bilatéraux et multilatéraux »