27 novembre 2011
Juliette Abandokwe
Parfois les images se passent de commentaires. Certaines demandent même un moment de recueillement, signe d'un profond respect et de méditation.
C'est ainsi que je demande l'observation d'une minute de silence dans la contemplation de cette image, avec la représentation simultanément d'une odeur pestilentielle de pétrole brut.
Photo prise le 25 novembre 2011 par Environmental Rights Action (ERA)
Ikarama, district de Yenagoa, Etat de Bayelsa.
A l'heure où SHELL cherche par tous les moyens à minimiser sa part de responsabilité dans le délabrement du delta du Niger à travers une exploitation sauvagissime d'une ressource naturelle, dont l'Occident entre autre, ne peut plus se passer, voici donc dans quel état se trouve aujourd’hui l'environnement naturel de millions de nigérians, qui vivent en temps normal de l'agriculture et de la pêche. Une quantité de brut, équivalente à la cargaison de l'EXXON VALDES, est déversée chaque année depuis 50 ans dans la nature jadis luxuriante du delta du Niger.
A l'issue d'une étude d'expertise environnementale sans précédent, effectuée sur une période de 14 mois, par le Programme des Nations-Unies pour l'Environnement (PNUE) en Ogoniland, patrie du militant Ken Saro-Wiwa assassiné en 1995 par le pouvoir nigérian avec la complicité de responsables de compagnies pétrolières, il a été conclu que "la restauration de l’environnement dans cette région, qui implique un retour à un état sanitaire acceptable des sols, de l’eau, des criques, des mangroves et des différents écosystèmes, pourraient exiger la plus importante et la plus longue opération de nettoyage jamais réalisée dans le monde." (Voir http://www.unep.org/nigeria/ pour les détails du rapport du PNUE.)
Tout en ayant accepté leur responsabilité du bout des lèvres, sous la pression de différentes ONG et groupes locaux, ainsi que d'organisations de la société civile qui œuvrent sur le terrain inlassablement depuis plus de cinq décennies, la concrétisation des engagements que ces activistes ont réussi à faire prendre aux administrateurs du groupe SHELL notamment, par la force de l'évidence, se fait néanmoins attendre.
Parmi les nombreuses compagnies pétrolières qui exploitent le pétrole dans cette région pétrolifère la plus importante du Nigéria, qui est lui le premier producteur de pétrole brut d’Afrique, le groupe anglo-néerlandais SHELL, la plus ancienne et la plus importante compagnie présente sur le terrain, a déjà dû procéder à un recul important notamment en 1993, suite à d'importantes manifestations populaires entretenues par Saro-Wiwa, où le groupe avait dû quitter l'Ogoniland, dont l'environnement est encore aujourd’hui particulièrement ravagé par une exploitation jugée sauvage et totalement inconsidérée par les experts en la matière. SHELL pourtant continue à clamer, avec une véhémence peu convaincante pour beaucoup, que les fuites sur les oléoducs causés par des pillages intempestifs sont la cause majeure de la pollution d'aujourd'hui.
Les observateurs, experts environnementaux et activistes sur le terrain, dénoncent encore et toujours les graves négligences de SHELL particulièrement, insistant sur sa part majoritaire dans la responsabilité de la pollution. De toute évidence, les dégâts de grande envergure observés et répertoriés dans de nombreux sites, ne peuvent se justifier par l'activité illicite de voleurs locaux sans grands moyens.
Les palabres continuent donc au quotidien, sur le sujet particulier de l'importance des responsabilités des uns et des autres, par rapport notamment aux actes dit "de terrorisme" par des acteurs armés, étatiques ou non, ainsi que de vols de brut sur les oléoducs, par ci par là. Les experts sur le terrain, issus d'organisations reconnues de défense des droits des habitants du delta du Niger, ainsi que les observateurs locaux et internationaux qui déploient leurs activités de relevés d'incidents sur tout le territoire du delta, sont unanimes sur le degré de responsabilité du groupe pétrolier dans ces crimes environnementaux.
Pire encore. Depuis un certain temps SHELL a adopté une manière radicale et hautement destructrice de « nettoyer » l’environnement à vil prix : elle charge des jeunes des communautés locales contre rétribution de mettre le feu aux sites inondés de pétrole brut, afin de faire disparaitre les traces de pollution et donc de sa culpabilité. Cette manière de faire est malheureusement rapidement passée du stade de l’exception à la norme. Des activistes locaux ont plusieurs fois attiré l’attention des autorités sur ces pratiques désastreuses pour l’environnement. Malheureusement la complicité de ces derniers avec le groupe pétrolier les rend désespérément muets et sans aucune volonté d’intervention.
Comme nous l’avons donc compris, les déversements de pétrole brut dans la nature continuent, dans l’indifférence des responsables, accompagnés de pratiques criminelles visant à éviter le coût du nettoyage en profondeur, privant toujours autant les populations locales d’une vie décente, sans le moindre respect de leurs droits les plus fondamentaux à un environnement vivable. Le profond manque de scrupules du gouvernement local et fédéral nigérian, font que les populations locales, qui réclament leurs droits tous les jours, sont dans les faits aujourd'hui complètement ignorés et méprisés.
C’est ainsi que les puissants ne cherchent qu'à gagner du temps, en faisant des promesses vides, et en poursuivant des manigances en tout genre pour contourner et échapper à leurs obligations, tout en continuant à se remplir les poches avec des bénéfices qui ne leur appartiennent pas.
Et le monde reste silencieux, dans une ignorance souvent consentante.
Pour triompher, le mal n'a besoin que de l'inaction des de gens de bien. (Edmund Burke)