30 septembre 2013
Juliette Abandokwe
En 2007, Médecins sans Frontières disait que "dans une indifférence quasi générale, la République centrafricaine vit une catastrophe humanitaire majeure décriée par l’UNICEF qui estime à 285.000 personnes le nombre de déplacés de guerre pris entre les violences des rebelles, des bandits, et les opérations de ratissage des forces gouvernementales. Ces populations trouvent globalement refuge dans la brousse, dans les champs, ou carrément à l’étranger au Cameroun et au Tchad voisins. Le nombre de personnes victimes à divers titres de cette guerre est estimé par l’ONU au quart de la population centrafricaine, soit 1 million de personnes. Un autre indicateur alarmant, la mortalité infantile est de 420 enfants par semaine."
La situation était catastrophique, mais un régime garant des intérêts tchadiens et occidentaux était là, bien installé, aussi sanguinaire et profondément vicieux qu’il soit. Pour les humanitaires l'heure était grave, mais pour les géopolitiques, l'humain superflu.
Aujourd'hui, AFP et RFI crient tout azimut, et on dit que "la situation est extrêmement préoccupante en Centrafrique, où un tiers de la population est menacée d'une catastrophe humanitaire. La tension est extrêmement vive en Centrafrique, à tel point que le président français, François Hollande, a appelé, mardi 27 août, l'ONU et l'Union africaine "à se saisir de la situation" de ce pays "au bord de la somalisation et qui compte un million et demi de déplacé. 60.000 enfants risquent d'y mourir de malnutrition."
La rédaction de RTL mentionne le 29 septembre 2013 qu’il y a « sept chirurgiens pour cinq millions d'habitants, le pays au bord du gouffre ». Mais de qui se moque-t-on !? Tout d’abord le nombre d’habitants est grossièrement gonflé pour les besoins de l’argument (4,525 millions en 2012 pour la Banque Mondiale), et ensuite on fait comme si Seleka a tué tous les chirurgiens en 6 mois et que la population vivait bien avant le 24 mars, alors qu’en 2011 déjà MSF lançait des cris d’alarme sur la situation sanitaire désastreuse.
Une vraie revisitation de l’Histoire du Centrafrique, une fois de plus, par le chasseur, relayé par des médias occidentaux d'une efficacité sans faille.
En 2007 PERSONNE ne parlait de se "saisir de la situation" militairement comme on le fait aujourd'hui. A l’heure que nous vivons, ce sont carrément des commandos militaires qu'on lancent sur la RCA et qu'on prévoit de déverser sur le pays avec la bénédiction de la communauté internationale et de l’ONU. En quel honneur....? par humanisme…. Vraiment !?
Comme par hasard, un désordre inouï, avec un fort parfum d’ordre et de provocation, règne dans le pays depuis 6 mois, baignant très visiblement dans un "laissez-faire" total par la "communauté internationale" notamment. Bien calculé jusqu’à maintenant, la France ne dénonce rien et laisse faire, malgré la présence militaire française (autour de l’aéroport) pour "protéger les ressortissants français". A croire que les ressortissants français n'ont pas de domicile et qu’ils vivent tous à Bangui M'Poko!
Ensuite, le Tchad de Deby verse l'huile sur le feu. Ses sbires locaux sont dans tous les mauvais coups, au nez et la barbe de tout citoyen centrafricain. Tout le monde sait parfaitement que la tuerie/pillage de BoyRabe des 22-23 août 2013 a été perpétré par les hommes de Noureddine Adam, acolyte personnel d’Idriss Deby, qui recrute des Tchadiens et des anciens du Darfour. Dans la foulée, personne ne dénoncent les disparités évidentes au sein de Seleka et personne ne parle même d’enquêtes ou d’une analyse précise dans le but de résoudre le problème "Seleka". Les yeux qui ont vu sont là pêle-mêle, malgré la peur des représailles. On insiste de rester dans les estimations aléatoires qui ne riment à rien. La résolution du problème "Seleka" n'est pas vraiment intéressant pour ceux qui veulent coûte que coûte « intervenir » en RCA. Des estimations deviennent d’ailleurs une arme dans le rapport des forces puisque l’incarnation du manque de preuves concrètes. Les otages locaux du Tchad ne sont pas en mesure de faire un véritable état des lieux. L’atmosphère lourde et délétère de Bangui, psychotique, autant dans les quartiers que chez les gouvernants, déshumanise et neutralise. Les forts sont là et ont le champ libre pour exercer la tyrannie, celle qui rend les hommes superflus.
Aujourd'hui à Bangui, à l'heure où toutes les "sensibilités" ont été mobilisées à l'ONU, et que tout le monde demande des interventions musclées pour "sauver les populations de l'anéantissement", tout en sachant que la prolifération d'armes légères est le problème no1 sur toute l'étendue du territoire, y compris à Bangui, on assiste régulièrement ces derniers jours à des scènes où des Seleka tchadiens refusent de se laisser désarmer par le mécanisme local qui a pourtant été créé pour désarmer les belligérants.
Mais qu'est-ce que ça veut dire finalement!? Le problème est que ce qui doit vraiment être dénoncé ne l'est pas. Le peuple centrafricain souffre sous le joug d'une présence militaire indésirable, contre laquelle le gouvernement ne peut rien faire. Un gouvernement héritant d'un système en friche, avec des institutions vides de substance.
Le désarmement à deux vitesses s’installe déjà : on désarme les occupés, et les occupants gardent leurs armes. Ensuite viendront encore ceux que Idriss Deby entraine dans ses camps militaires, et le tour sera correctement joué. A l’ONU et en France, on dira que la RCA est maintenant sécurisée. Le peuple centrafricain n’aura rien gagner de plus qu’une humiliation quotidienne extrême, l’annihilation de l’existence de son armée nationale et l’interdiction d’exister en tant que citoyen libre de ses choix.
Et la transition…. ? « Passage d’un état à un autre. (Larousse)» On va bien voir.
Pour le moment, de toute évidence, nous nous dirigeons allégrement dans une situation où les éléments armés tchadiens ont totalement carte blanche, font la pluie et le beau temps, tant au sein des ex-Seleka que dans les FOMAC, sur le territoire centrafricain devant le nez de tous. Plus besoin de se cacher d’ailleurs. Les forces armées tchadiennes, étatiques et non-étatiques, sont là plus que jamais.
Nous devons continuer impérativement à dénoncer et à refuser la présence armée tchadienne sur le territoire centrafricain, ainsi que les manigances des ennemis de la Nation centrafricaine. Nos voix sont encore trop petites, trop timidement organisées. Des moyens il y en a. L’occupation du tarmac de l’aéroport de Bangui nous l’a prouvé.
Mais la peur est là, omniprésente, ordinaire, difficile à vivre et à ressentir quand on n’est pas dedans.
A bon entendeur.